Chronique & Echange n°4 – Mumia Abu-Jamal : « En direct du couloir de la mort »

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Mumia Abu-Jamal est né en 1954 à Philadelphie. Il est journaliste de profession et militant actif des Black Panthers (mouvement révolutionnaire Afro-Américain).
Il sera condamné à la peine de mort en 1982, pour le meurtre d'un policier blanc. Son procès, si on peut appeler ça un procès (une mascarade serait plus approprié), est rempli d'irrégularités, de faux témoignages et d'entraves en tout genre (un chapitre nous explique tous les vices de la procédure judiciaire).

Tous ses droits vont être bafoués, dans un contexte politique où la ségrégation est omniprésente, infiltrée dans tous les rouages de la société américaine. Aujourd'hui, et après un combat long de trente ans, Mumia a obtenu l'annulation de sa peine de mort mais devra purger une peine d'emprisonnement à vie, sans espoir de libération (d'après la justice américaine bien-sûr).

couverture livre

« En direct du couloir de la mort » est un recueil de lettres écrites par Mumia dans les années 90, dans lesquelles il nous informe sur les conditions de vie en prison et nous décrypte ses structures déshumanisantes, où tout est mis en œuvre pour aliéner les esprits les plus rebelles. Le couloir de la mort est une prison dans la prison, l'administration pénitentiaire et les matons usent d'une grande liberté en ce qui concerne le traitement de ses condamnés. L'isolement prolongé, l'enfermement 22H00 sur 24H00, avec deux balades d'une heure dans une cour, si le temps le permet.

« Allez, les gars, on rentre, on rentre. Vous savez bien qu'on peut pas vous laisser là quand il y a du tonnerre et des éclairs. Ah bon, et pourquoi ? Vous avez peur qu'on s'fasse électrocuter ? Demande un prisonnier. »

Il n'est malheureusement pas très surprenant d'apprendre, qu'au sein même du couloir de la mort, votre couleur de peau altère le jugement et le traitement dû à votre égard . Les ballades extérieures se font dans une cage pour les noirs, quand les blancs eux, sont dispensés de barbelés, et bénéficient de fontaines, d'une piste de course et d'un terrain de basket. Les visites sans contact physique, le transfert des prisonniers vers d'autres  établissements, tous les deux ou trois ans, ont pour but de couper tous les liens affectifs des détenus. L'absence de travail et de programmes éducatifs, qui aurait eu le mérite d'occuper ses âmes séquestrées. Les unités de traitement psychiatrique, entérinées par un jugement de la cour suprême, qui laisse toute liberté aux officiers de la prison de droguer les prisonniers jusqu'à ce qu'ils en perdent la raison.  Des gardiens hostiles et racistes n'hésitant pas à torturer ceux qui ont eu l'audace de manifester leurs opinions.

Voilà l'univers dans lequel Mumia a subsisté ces trente dernières années. Il a d'ailleurs subi un traitement spécialement rigoureux pour avoir été l'auteur de ce livre. Mais Mumia Abu-Jamal est un militant, un homme qui par choix et par force luttera toute sa vie. Lui, qu'on appelle « la voix des sans voix », nous dit :

« Notre histoire témoigne que notre vie, notre art, notre esprit, peuvent fleurir dans les conditions de privation les plus extrêmes. »

« Le simple fait que j'écris révèle l'échec total de leur tactique d’intimidation, comme le révèle aussi le simple fait que vous lisiez. »

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Il aborde également le pouvoir économique et politique engendré par le système carcéral américain. En 1994 la Pennsylvanie  aura déboursé 600 millions de dollars pour ses prisons. Les californiens, quand à eux, payerons 2,7 milliards de dollars pour la construction et l'entretien de 28 centres de détentions, ce budget colossal dépassera celui de l'enseignement supérieur.

« Un esprit cynique qui observerait ce projet d’expansion des prisons à travers les lunettes des intérêts économiques en jeu pourrait penser que ce boom est stimulé par certains acteurs de l'industrie pénitentiaire : les constructeurs, les syndicats de gardiens, etc. »

Suite à la fermeture d'usines et de mines dans des zones rurales, beaucoup de villes maintiennent l'économie locale grâce aux prisons. Et oui les amis, l’Amérique produit aussi des prisons.

mumia 2Les politiques profitent énormément de ce levier économique qui s'inscrit pleinement dans une stratégie électorale. En renforçant systématiquement les lois sécuritaires, en allongeant les peines, en punissant de manière exemplaire les récidivistes, en surfant sur la vague de l'insécurité, de la peur, et en exécutant toujours plus d'hommes et de femmes de manières démentielle, ils s'assurent une manne électorale indispensable pour prétendre aux plus hautes fonctions.

Bien d'autres anecdotes et analyses figurent dans ce recueil que je vous recommande vivement. Il nous éclaire sur la vie, l'engagement, la lutte de Mumia Abu-Jamal et le sort qui est le sien. Il nous amène à nous poser des questions évidentes :

Quel est le rôle d'une prison dans nos sociétés ?
Quand prendrons nous conscience de la barbarie que nous répandons sans cesse ?
Pourquoi Mumia Abu-Jamal est-il toujours incarcéré ?
Les hommes et les sociétés sont elles assez impartiales, assez justes, pour décider de la mort d'un  individu ?

 

J'en terminerais avec cette phrase de Mumia, qui est la première du livre :

« Je préfère t'avertir. Si tu crois à la glorieuse démocratie américaine et au rayonnement de son empire, alors referme immédiatement ce livre. »

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FREE MUMIA

 

Philippe Vieilleden

 

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