Yannis Youlountas : « Ne Vivons Plus Comme Des Esclaves »

Temps de lecture: 8 min

Venu des catacombes grecques de l’Europe, un murmure traverse le continent dévasté : « Ne vivons plus comme des esclaves » (prononcer « Na mi zisoumé san douli » en grec). Sur les murs des villes et sur les rochers des campagnes, sur les panneaux publicitaires vides ou détournés, dans les journaux alternatifs et sur les radios rebelles, dans les lieux d’occupation et d’autogestion qui se multiplient, tel est le slogan que la résistance grecque diffuse, jour après jour, et nous invite à reprendre en chœur sur les mélodies de ce film à ses côtés. Un grand bol d’air frais, d’enthousiasme et d’utopies en marche, venu de la mer Égée.

Affiche

 

image 02Yannis Youlountas (Γιάννης Γιουλούντας), ce franco-grec fait parti de ces personnes discrètes mais très actives sur le terrain. Il est difficile de le résumer en quelques mots ; il est tantôt philosophe, tantôt poète, puis écrivain ou réalisateur. Acteur social en contact avec de nombreux publics, il insuffle le courage et la combativité. Ce boulimique du travail est également chroniqueur dans Le Monde Libertaire, Siné Mensuel et Les Zindigné(e)s.
Actuellement en tournée dans toute la France pour la promotion de son documentaire « Ne vivons pas comme des esclaves » mais également pour rencontrer et échanger avec son public, Yannis a pris le temps de répondre à nos questions :

 
 

Interview :

 

— Bonjour Yannis, peux-tu te présenter ?

Philosophe ou poète ? Humain tout simplement ! L'existence est muette et l'étiquette ment.

 

— Avant de parler de ton 1er long métrage, le documentaire « Ne vivons plus comme des esclaves », peux-tu nous expliquer la situation sociale, politique et humaine de ce qui se passe en Grèce et peut-être comment la Grèce en est arrivée là ?

La Grèce n'est que le laboratoire d'une nouvelle recette du capitalisme en Europe, sur le modèle extra-continental particulièrement inégalitaire et violent. Ce qu'on appelle crise ne vise qu'une amplification de la concentration des richesses sous une apparente nécessité. Cependant, bien que dramatiques, ces circonstances offrent des opportunités, car les masques tombent et la vie d'avant n'est plus possible. Deux motivations pour agir.

 

— Comment s'est passé la préparation du film ? Le tournage ? Quelles difficultés as-tu rencontrées ? Et pourquoi une diffusion gratuite sur le net de ce documentaire ?

Je n'ai rien préparé. J'ai juste tourné la molette de mon appareil photo en mode vidéo. Par nécessité. Parce que l'écriture et la photo ne suffisaient plus à rendre compte des événements. Ce film s'est fait de bout en bout avec le soutien du mouvement social, en Grèce puis en France. Les mêmes menaces aussi : surveillance, tentatives d'intimidation... La gratuité du film sur le net n'est que le terme logique de cette action militante de contre-information. Nous avons également créé la plupart des chansons dans ce but, dont la principale écrite avec ma fille Lisa, étudiante à Champollion-Albi, et interprétée par Ta Limania Xena, un groupe franco-grec de Toulouse. Mon fils ainé Lucas, qui a grandi en Grèce, m’a également aidé, ainsi que ma compagne Maud qui a coordonné le projet et qui assure maintenant la diffusion-distribution avec une association à but non lucratif qui envoie les recettes occasionnelles à des initiatives principalement sur Athènes.

 

 

— Cela fait des années que tu vas en Grèce. Pourquoi un long métrage maintenant ?

C'était le moment. La parole et l'action étaient mûres, claires, limpides, mêlant expérience et enthousiasme. Les personnages avaient le désir de communiquer par mon intermédiaire — parce que nous connaissant et luttant ensemble depuis longtemps — non seulement pour contrer la désinformation, mais aussi le misérabilisme spectaculaire et les tentatives de récupération qui n'ont pas manquées.

 

— « Ne vivons plus comme des esclaves » est un documentaire qui s'adresse à qui en premier lieu ? Et de part tes origines grecques, qu'avais-tu envie de faire passer comme message ?

Ce film s'adresse d'abord à ceux qui luttent, mais qui, en ce moment, sont bien souvent fatigués, épuisés et traversent des moments de doutes et un sentiment d’impuissance. Ensuite à ceux qui souffrent et peinent à imaginer des perspectives, un horizon différent, un monde plus juste, plus doux, plus fraternel. Enfin, c'est un film à faire circuler autour de nous, pour faire savoir non seulement que cet autre monde est possible, mais qu'il est déjà en marche.

 

— Les grecs ont-ils eu l'occasion de voir le film ? Et si oui, comment ont-ils réagi face aux images ?

Un Grec sur vingt a vu le film. 50 000 dans des projections publiques. 100 000 sur le net. Et 350 000 sur ERT, la télé publique interrompue sans préavis par le gouvernement en juin 2013, et devenue subversive, à l'initiative de ses anciens salariés les plus contestataires, sous la forme d'un streaming intégré sur des tas de blogs et sites partout en Grèce. Depuis six mois, ERT l'a déjà passé huit fois en prime-time à la demande de ses spectateurs. Onze fois en tout. C'est énorme.

 

 

— De nombreux lieux ont eu l'occasion de diffuser ton film en France, et peut-être en Europe, comment les gens réagissent-ils face à une situation qui se déroule quasiment à nos frontières ?

Ils ont bien compris que cette histoire était aussi la leur. La Grèce est un miroir sur le passé, mais aussi sur l'avenir. Savoir, c'est prévoir : comprendre ce qui se déroule pour prendre les devants.

  image 06 (Medium)

 

— Les partis d'extrême droite en Europe ne cesse de grossir, d'avoir de plus en plus d'électeurs, comme Aube dorée en Grèce. Jusqu'où cela peut aller ? Est-ce une suite logique de la situation dans laquelle se trouve l'Europe et peut-être plus généralement le monde occidental ?

Contrairement aux idées reçues, la montée des néofascismes n'est pas seulement le produit de la misère galopante, mais surtout de la crise de sens générée par une existence complètement déconnectée de la vie. Une existence déshumanisée, à la fois dénaturée et déculturée, d'une vacuité inouïe. Là est la plus grande pauvreté. Il ne suffit pas d'exister pour être. En France, le vote FN n'est plus dans les banlieues, mais dans les lotissements, pourtant moins vulnérables économiquement et socialement, mais — et c'est le plus important — temples de la bagnole, de l'ego et de la société de consommation. Ce vote est également plus marqué dans des petites villes dépourvues d’immigrés. Bizarre, non ? Il est également massif dans les manifs pour tous, alors que les cathos traditionalistes vivent souvent confortablement. C'est donc bien une crise de sens à laquelle nous assistons. Une montée de la misanthropie directement générée par un modèle systémique et non pas seulement par la peste brune qui n'est que la partie émergée de l'Iceberg, l'arbre qui cache la forêt dans laquelle beaucoup se sont perdus. Le fascisme n’est pas seulement le produit de la crise du capitalisme, mais aussi et surtout la conséquence directe du mode de vie capitaliste et de l’opinion qu’il fabrique.

 

— La finance est le nerf de la guerre dans ce monde. Y a-t-il un espoir un jour de s'en affranchir ?

Le capitalisme financier est une dystopie, au même titre que le fascisme. Il n'y a que l'utopie pour nous sortir de là avant qu'il ne soit trop tard : expérimenter l'utopie dans des lieux alternatifs et des zones à défendre, puis la donner à voir à l'extérieur. C'est précisément le projet de "Ne vivons plus comme des esclaves".

 

— La France et le peuple français sont-ils mieux lotis que la Grèce et son peuple ?

Non, le même processus a déjà commencé en France. Seul le rythme diffère.

 

— Quels sont tes futurs projets ?

Je suis en projections-débats avec le film presque tous les jours, en France et ailleurs. Les versions étrangères se multiplient et les demandes lointaines aussi. Certes, je travaille déjà sur d'autres projets — livres, chansons, film — mais il faudra d’abord me poser pour pouvoir les finaliser.

 

— Tu fais des photos, tu écris des essais et des livres, ainsi que des poèmes et scénarios, des bandes-dessinées, tu réalises des films. Que te reste t-il encore à faire ? A quoi n'as-tu pas encore touché ? Que n'as-tu pas encore fait ?

Il faudrait peut-être que j'apprenne un peu à ne rien faire.

 

— Si tu étais une chanson ? un livre ? un film ?

Une chanson : le « Live at Pompeii » des Pink Floyd.
Un livre : « Traité du savoir-vivre à l'usage des jeunes générations » de Raoul Vaneigem.
Un film : « De la servitude moderne » de Jean-François Brient.

 

— Merci d'avoir répondu à nos questions !

De rien. Mais, j'avoue que sur un lit d'hôpital, au petit matin, à jeun, ça fait l'effet d'un testament !

(Yannis était à l'hôpital au moment où il répondait à nos questions, mais rien de grave, un simple bilan de santé, ndlr)

 

 

Images : http://nevivonspluscommedesesclaves.net/


image 01

 

NE VIVONS PLUS COMME DES ESCLAVES,

 

un film de Yannis Youlountas (2013)

 


  • Coproduction : Anepos, Serge Utgé-Royo, Maud Youlountas, Berceau d'un autre monde et 173 souscripteurs de soutien
  • Traductions : Lisa, Lucas et Yannis Youlountas
  • Musiques : Ta Limania Xena, Cyril Gontier, Serge Utgé-Royo, Jean-François Brient, Raoul Vaneigem, Madame Nesia, Methismena Xotika, Martyn Jacques, Xasmwdia, Horror Vacui, Alpha Bang
  • Coordination, diffusion : Maud Youlountas, Anepos
  • Durée : 89 minutes

 

Regarder le documentaire en ligne :


Contact :

 

 http://nevivonspluscommedesesclaves.net/

http://youlountas.net/

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