Le Journal de M. Mort : « Le Premier »

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Le Journal de M. Mort : « Qui Tue Un Chien »


 

« Le Premier »

 

J'ai toujours senti en moi un potentiel de dangerosité, une force sombre, présence discrète logée dans un recoin de ma tête. Telle une larve attendant l'éclosion, un volcan bouillant en vue de son éruption. J'ai longtemps fait mine d'ignorer ce démon dont je suis l'hôte, poursuivant un semblant de vie en tentant de zapper le tictac de ma bombe interne, mais dorénavant la mascarade est finie.

J'ai ouvert les yeux sur ma nature et j'assume ce que je suis : Un sociopathe, un être dangereux.

Cela ne veut pas du tout dire que je suis infréquentable ; juste qu'entretenir une relation avec moi (quelle qu'elle soit), c'est comme être sur un siège éjectable. Car ma palette de sentiments est plus limitée que celle d'une personne normale. Je ne m'attache pas. Personne sur moi n'a d'emprise. Cela me prive d'amour, mais cela me préserve aussi des tromperies et traîtrises. Adolescent, j'étais timide et faible, miné par un manque de confiance, qui m'a fait louper mes plus belles années. En total déficit d'assurance, Je n'ai pas connu les idylles de collège et de lycée, Je n'ai pas eu cette chance. Je n'étais qu'une ombre dans les couloirs, Un môme boutonneux et renfermé dont nul ne semblait vouloir.

En fait, la plupart des sentiments qui composent mon panel émotif sont un tantinet négatifs : Colère, Méfiance et Envie sont les premiers qui me viennent à l'esprit. Je ne suis qu'une somme de désirs et de fantasmes inassouvis, un gouffre sans fond qu'il vaut mieux ne pas sonder si l'on veut être mon ami. Je devrais plutôt dire si l'on «voulait» être mon ami, car les amis aussi, c'est fini. Ce n'est pas que je sois foncièrement méchant, je ne m'amusais pas en faisant du mal à mon entourage (lorsque j'en avais encore un), mais je peux être le Mal Incarné si vous me cherchez. C'est en moi. D'autres ont la joie de vivre ; tant mieux pour eux. En ce qui me concerne je ne connais que la définition littéraire du mot heureux. Me sont interdits Béatitude et Plénitude, À moi l'Inquiétude et la Solitude. J'ai certes choisi la vie de tueur ermite que je mène, Mais jeune, j'aspirais à une existence plus simple et saine. De fait, j'ai mis énormément de temps à être en accord avec moi-même et mes prédispositions ; mes petits Talents de l'Ombre. Il m'aura fallu trois décennies de tentatives infructueuses de m'insérer dans la ronde sociale, la grande farandole du paraître. J'ai eu des ami(e)s, des compagnes, des compagnons de galère, des potes et des relations, Mais au final je suis seul. Car il arrive toujours le moment où la carapace n'est plus assez épaisse, le moment où votre femme ou votre ami deviennent assez proches pour sentir cette chose froide et dangereuse tapie en vous. Alors, effrayés et dégoûtés par ce monstre, ils préféreront couper les ponts. Vous ne leur avez rien fait, ce sont vos proches ; mais le Mal fait peur, c'est primal, viscéral, ancestral, c'est une de nos valeurs fondamentales. Même s’ils ont passé de bons instants avec vous, même s’ils vous aiment, ils préféreront couper les ponts, comme par prévention. L’Amour et l'Amitié ne sont pas assez forts face à une telle répulsion. Mon nom est M. Mort, Tueur est ma profession. Ma véritable vocation, ma dévorante passion. Et celle-ci ne laisse pas de place pour les amourettes et les amitiés éphémères. Je n'ai plus de temps à perdre maintenant que je sais pourquoi je suis sur terre.

Quand je ne suis pas en mission et que personne n'a besoin de mes services pour équilibrer la balance de Dame Justice, Alors je trouve par mes soins le prochain dont je trancherai le fil du destin. Et les candidats potentiels au statut de victimes ne manquent pas ; Un grand nombre d'humains ne méritent pas la vie qu'ils ont ici-bas. Des fortunes bâties sur la sueur, la santé et le sang d'innocents, il y en a tant. Je n'ai qu'à me procurer la liste des adhérents du Medef ou de l'OMC pour disposer d'un vivier de personnes à supprimer. Et croyez bien que cette liste est punaisée sur un des murs de mon bureau. Je suis comme tout pro, j'ai un local, un Q.G., un labo. On pourrait lui donner tous ces noms vu sa nature multifonction. J'y guette les infos de tous pays, scrute le réseau Internet, suis les affaires en cours, qu'elles soient économiques, politiques ou de tout autre ordre. Je me tiens au courant, et lorsque mon instinct me dicte d'agir, je n'hésite pas. J'aimerais que l'on retienne ça de moi :

M. Mort n'est jamais en congés.
Service commandé ou justice de bien publique, il est toujours occupé.

La maison de campagne où j'ai élu domicile n'est pas bien souvent honorée de ma présence entre ses murs pourtant si accueillants. Ma tâche m'emmène régulièrement à franchir les frontières et je suis la moitié de mon temps en déplacement. Je pourrais passer un long moment à décrire cet endroit où je vis, mais à quoi bon. Résumons en disant que c'est une vieille ferme, isolée, confortable et sécurisée. Mon premier voisin est à treize kilomètres, et en deux ans nos regards ne se sont croisés qu'une fois, chacun dans son véhicule à sillonner la petite nationale cabossée. Entre nos deux maisons, un vaste champ et une dense forêt. Par prudence, je me devais tout de même d'en savoir un peu plus sur ce proche élément de civilisation. Il me fallut à peine deux semaines d'observation pour cerner son métier, ses habitudes et ses petites occupations. Agriculteur spécialisé dans les poireaux et les haricots verts, célibataire. Fan de Plus belle la vie et de Questions pour un champion, il ne sort que deux à trois fois par semaine pour aller siroter une quelconque liqueur au bar local, duquel il rentre en ayant toutes les difficultés à rouler droit. Une fois chez lui, une veuve poignée pour apaiser la montée de libido de l'alcoolo, et direct au dodo, car le matin : boulot ! Poivrot ou pas Poivrot, ça n'attend pas les haricots et les poireaux ! En bref, je n'avais absolument rien à craindre d'un tel zigoto. Et puis, si une poussée de curiosité quant à son voisin venait titiller ce débile, lui mentir et l'aiguiller sur une voie de garage ne serait pas chose très difficile. Dans le cas contraire, cela serait à ses risques et périls, mais en général, la gazelle est prudente et n'approche pas de la mare aux crocodiles.

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Allez, je vais être franc, j'ai dit que j'étais tout le temps occupé....j'ai menti. Moi aussi j'ai des loisirs. Lorsque mon planning et mon humeur me le permettent, je pars en balade. J'ai choisi pour repère une région qui se prête parfaitement aux champêtres escapades. Forêts pour la randonnée, rivières pour le bain, et falaises pour l'escalade, la nature ici est majestueuse et en perpétuelle parade. Et oui, on peut être Tueur et apprécier ce que notre Terre-Mère a de beautés à exhiber. D'autant que l'humain ici se fait rare, ce qui permet à de nombreuses espèces de montrer leur nez. Et je sais être aux premières loges pour les observer. Comme cette nuit. Je sais être statique, immobile tel un minéral ou léger comme un végétal, Chaque mois je passe deux poignées d'heures à admirer et analyser le mode vie de la faune locale. Leur façon de se déplacer, de communiquer, de se reproduire, de construire... Nous avons tout à apprendre du règne animal, c'est ce que je me dis une fois de plus, posé sur un entrelacs de branchages, à observer un écureuil sur sa branche en train de courir. A cinq bons mètres du sol, jumelles à vision nocturne sur les globes, je regarde la bestiole faire le funambule sans stress. C'est que ce p'tit écureuil a pour lui l'équilibre et la vitesse. La boule de poils est à quinze mètre de haut au bas mot, mais elle n'a pas peur du vide. Sans doute n'en a-t-il même pas conscience. Il fonce sur sa branche, les pattes chargées de glands, bien décidé à aller planquer sa pitance. Maintenant, perchez donc un homme sur la même branche avec une dizaine de balles de tennis dans les bras, et vous verrez la différence. L’Homme est le dernier modèle de la Création, mais celle-ci ne nous a pourtant pas donné tous les atouts et qualités des créatures qui nous ont précédés. Et tant mieux dans un sens, car cela leur laisse une infime chance de survivre malgré, nos exactions et notre simple présence. Omniprésence même... J'étais sur ces pensées misanthropes déprimantes lorsque j'entendis du bruit, des voix m'annonçant l'approche de cet humain que je fustigeais justement. On était loin des sentiers battus et je me demandais immédiatement ce que ces deux types pouvaient venir faire dans ce paisible sanctuaire. Les accents vulgaires des deux voix qui fanfaronnaient excluaient totalement la possibilité d'avoir affaire à des observateurs de la nature, car pour ce faire, il faut se taire. Le silence est la clé, et les deux bourrins qui se pointaient n'en savaient apparemment rien.

«Il est deux heures du matin, me susurra mon instinct. Y'a quelque chose de pas clair mon copain...»

Je décidais de rester dans mon arbre, histoire de voir les tronches de ceux qui venaient de rompre mon instant de tranquillité au sein de cette nuit noire. Et ma surprise fut de taille. Tout d'abord, ils n'étaient pas deux, mais trois. Sauf qu'un des trois ne risquait pas de dire quoi que ce soit, puisqu'il était réparti en deux sacs- poubelle. Non, je ne vois pas à travers le plastique, mais les gens comme moi sentent ces choses-là. De plus les deux types n'avaient pas du tout la tenue de personnes qui s'apprêtent à passer des heures dans les bois. Ce n'étaient pas des chasseurs que j'avais là, mais des fossoyeurs du milieu. Leur job principal est d'enterrer. Il leur arrive parfois de tuer, mais la plupart du temps, ils inhument ceux que mes confrères et moi-même laissons derrière nous. L'un portait les deux morbides sacs-poubelle, l'autre deux pelles et une lampe torche.

«Éclaire mieux devant mes pieds, beugla le premier en s'arrêtant. Et tu vas porter un peu ces deux sacs, ça fait deux bornes que j'me les coltine, j'commence à en avoir plein l'dos.
"- Négatif, j’porte pas ce gamin, répondit le deuxième pingouin en costard, plus âgé que son prédécesseur. Creuser passe encore, mais tu m'feras pas porter ce corps t'as imprimé ? J veux pas de contact avec ce môme bordel !"
"- P'tite Nature, pesta Pingouin number one en crachant aux pieds de son binôme. Tu manques de couilles, ça fait d'la peine.»

Les deux fossoyeurs se tiennent face à face, à distance d'haleine et à moins de dix pas de ma grosse branche de chêne. L'ambiance est plus que tendue mais le professionnalisme reprend vite le dessus et celui qui tient les sacs reprend la marche avant de commettre une bévue. C'est pour camoufler un corps qu'ils sont venus s'faire chier jusqu'ici, pas pour se taper dessus. On verrait ça le moment venu. À défaut de pouvoir observer la faune nocturne de ma région, j'allais surveiller ces deux comiques qui venaient de piquer ma discrétion par leur tension. L'un des deux n'avait pas l'air d'accord avec cette mission, et j'eus bizarrement le besoin de connaître sinon ses raisons, au moins la conclusion de leur intervention. J'en avais besoin tout comme mon voisin voulait à tout prix connaître la fin de chaque épisode de son feuilleton à la con. Je les pris donc en chasse, dans un silence parfait comme je sais si bien le faire : Léger telle une feuille morte dans un courant d'air. Pieds nus, je sentais le sol et ses aspérités sur ma voûte plantaire, adaptant la pression que j'exerçais selon la solidité et la rigidité du tapis vert. La pointe du pied d'abord et le reste ensuite, en diagonale tel un ninja. Des guerriers spécialistes du déplacement furtif auxquels auraient du s'intéresser les deux éléphants devant moi... J'aurais tout aussi bien pu marcher normalement qu'ils n'auraient rien capté tant le bois craquait sous leurs pas. Mais je respectais le terrain ainsi que la manière, et ce fut un plaisir de suivre ces costards jusqu'à l'endroit qu'ils allaient changer en un secret petit cimetière. Les premières minutes je me contentais de les regarder creuser, mais lorsqu'ils se remirent à discuter, je m'approchais à portée de voix, mon arme déjà à bout de bras. Juste au cas où ils m'apercevraient... Non masqué, je n'aurais d'autre choix que de les dessouder. Pas de scrupules à avoir lorsque c'est Tuer ou être Tué...

Une fois posté, je constatais avec amusement que la tournure de leur conversation n'avait pas changé. Un des deux fossoyeurs n'était décidément pas fier de ce qu'ils étaient en train de faire.

«Un gamin, enrageait-il en enfonçant sa pelle dans la terre meuble. On est en train d'enterrer un môme de l'âge de mon propre fils !»

Réalisant cela en même temps qu'il le prononçait, l'homme s'arrêta de creuser et s'épongea le front à l'aide de son avant-bras. L'autre costard restait muet, mais sa façon de pénétrer la terre exprimait à elle seule son désaccord avec son comparse.
«Et qu'avait fait ce pauvre môme, continua le réticent. Hein ? J'veux dire à part être au mauvais endroit au mauvais moment ?»
Le plus jeune fit alors une pause, juste le temps de remettre les idées en place dans la tête de son collègue.
«Écoute, on n'est pas payés pour se poser des questions mec ! Ton taff c'est de protéger les intérêts du patron et de son fils, et c'est précisément ce qu'on est en train de faire ! Ni plus, ni moins ! Ça change foutre rien que ce soit un gamin, en tout cas pour moi.
"- Et bein pour moi ça change tout figure-toi !»
Désormais, aucun des deux ne creusait. Le débat virait aux questions d'éthique, à ma plus grande joie.
«Qu'on enterre un dealer concurrent, un toxico qui a levé la main sur une de nos filles ou n'importe quel mange-merde, je m'en contrefous ! Mais là !! Là on sait tous les deux pourquoi ce mioche est dans un sac nom de dieu ! Parce que le fils du boss ne sait pas penser autrement qu'avec ses poings et sa queue !».
Là, une diode s'alluma dans un coin de mon cerveau et mon attention redoubla. Le cas de conscience du cinquantenaire commençait à fortement exaspérer le jeunot et celui-ci s'éloigna en shootant du pied dans une motte de terre.
«Et alors, brailla-t-il ensuite. Tu proposes quoi ?»
Les mains agitées, il sortit un paquet de clopes de la poche intérieure de sa veste, me révélant la marque du flingue qui pesait dans son holdster. Ces énergumènes étaient décidément tête en l'air. S'allumer une clope sur une scène de crime n'était pas une chose à faire. Plus on laissait de traces, plus l'on donnait de la matière aux autorités judiciaires, facilitant ainsi le travail de leurs experts.
«Allez j't'écoute, reprit le plus jeune en tirant une micro-bouffée sur sa tige. Toi qui m'as l'air d'être en mode débat, tu proposes quoi ? On le laisse là comme ça et on s'tire ? Si on fait ça, tu sais que c'est nous qui allons finir dans des sacs ! Mais bon, admettons!! On fait ça ! On se casse, et tu fais quoi après ? Tu t'recycles en vendeur de cuisine ou de literie-futon ? Redescends mon vieux, t'as plus de 50 piges, t'as passé ta vie entière à commettre des meurtres ou à les camoufler, c'est tout ce que tu sais faire ! D'accord c'est ta première avec un enfant, c'est dur, mais t'as qu'à te dire que ce n'est pas un gamin. Juste un putain de témoin ! Arrête de t'bourrer le mou et de bourrer le mien, viens on creuse ce trou et on s 'casse de cette forêt pérave»

Mais je voyais bien que l'autre n'était pas convaincu, ce qui était d'ailleurs tout à son honneur. Car plus leur conversation avançait, plus ils passaient du statut d'espèce observée à celui de proies. Ils s'apprêtaient à faire disparaître le corps d'un innocent dans mes bois et si je n'intervenais pas qui le ferait ? Sûrement pas la Loi...
«Non, lâcha-t-il simplement. J'creuserai pas mec. Faut que ce soit clair dans ta tête : j'refuse de camoufler celui-là ! Que Fiston pointeur aille pourrir au trou avec sa quéquette ! Si t'avais un môme tu comprendrais c'que j'ressens : on protège pas un violeur au détriment d'un môme ! Même s'il est déjà mort, j'bafouerai pas sa mémoire t'entends ?»
Le regard du deuxième costard se figea dans le vide, à la manière de quelqu'un en état de profonde réflexion. Il tira lentement sur sa cigarette, en appui sur sa pelle comme sur une canne. Il semblait ailleurs tandis que l’autre poursuivait avec mauvaise humeur :
«Ce soir tu vas creuser et camoufler ça tout seul, comme un grand. Parce que c'est pas à l'âge que j'ai que j'vais commencer les horreurs. En commençant dans c' métier, je m'suis promis, «Jamais d'Enfants ! Et là, c'est un enfant dans ces sacs-poubelle.»
«Tiens, c'est là un point que nous avons en commun, songeais-je de derrière mon tronc. Pas d'enfants et pas d'animaux! Un bon point en plus pour toi !» Le jeunot ne bougeait et ne répondait pas, comme en pleine méditation.

À ce moment, j'eus la certitude d'avoir deviné son intention. Il allait liquider son compagnon ici même et l'enterrer avec ce minot mort qui causait tant de problèmes. Dans ce milieu la faiblesse est prohibée, ne comptent que le cran et la loyauté. Mais la future victime, elle, semblait ne rien voir venir, bien trop occupée à se repentir.
«Faut qu'tu m’comprennes vieux. À toi ça va te rajouter quelques coups de pelle, mais pour moi il s'agit de valeur essentielle tu m'suis ?» J'hallucinais sur la chance que j'avais d'assister à une telle scène. C'est vrai quoi, la région est grande, les étendues vastes, et c'est pile sous mon nez que rappliquent ces deux gorilles. Trop beau !!
«Les probabilités sont de combien, me demandais je. Une chance sur mille au mieux.»
«Je te suis, oui», rétorqua le collègue le plus calmement et le plus sincèrement du monde. On arrivait bientôt à la fin de sa blonde.
«J'peux pas faire ça! Je suis croyant, et avec ce qu'on s'apprête à faire, c'est direct l'Enfer sans passer par la case Pardon ! J'ai pas envie d'être foudroyé mec !
-Et pourtant...»
Le type était rapide, mais j'étais déjà prêt depuis cinq bonnes minutes. Le temps qu'il ait fini de dégainer et d'articuler, il avait déjà trois pruneaux dans le prunier. Le repenti cessa aussitôt de respirer, osant encore moins bouger. Je prenais alors quelques secondes pour peser la vie de ce fossoyeur dans ma balance de Justice Personnelle. À la ronde, on n'entendait aucun bruit et je sentais émaner de lui une peur toute solennelle. À ses yeux, j’étais la Foudre Divine qu'il avait évoqué. J'étais le Bras Armé, l'Ultime Châtiment. J'étais presque son Dieu, dans le sens où à cet instant précis, j'étais celui qui décidais si sa vie allait continuer ou non. De ce fait, cette rencontre singulière en pleine forêt est une des anecdotes les plus marquantes de ma carrière. C'est de loin le moment où j'ai le plus ressenti mon pouvoir de vie et de mort, l'inexorabilité de la sentence,et la toute puissance de la clémence. Peut-être fut-ce grâce au point commun que nous avions, sans doute aussi face à la sincérité de sa rédemption.

Toujours est-il que je sortais de derrière mon tronc et m'approchais de lui, ombre dans la pénombre, bras prolongé de mon canon. Selon ma volonté mon déplacement n'avait pas échappé à son attention, mais le bougre ne moufetait pas, figé de peur et de pression. Je ne lui dis ensuite que deux courtes phrases avant de m'éclipser dans la végétation :
«Il n'y aura pas de deuxième case Pardon. C’est l’heure de la Reconversion.»
Pleurnichant et suant, pris de petites convulsions, se type hocha vaguement la tête en une tremblante approbation, faisant ainsi vibrer la graisse de son double menton.
«Merci Seigneur, merci mille fois», gémit-il en posant les genoux à terre.
Mais je n'étais déjà plus là pour accueillir ses prières, j'avais assez traîné a proximité de leur affaire. J'avais fait preuve de pitié aujourd'hui, et j'en étais fier. Ça ne faisait pas foncièrement partie de mon caractère, mais j'étais apparemment encore capable de bonté.

Une chose qu'il allait falloir garder cachée...

Dans le milieu, la faiblesse est prohibée...

 

 

Non, M. Mort n'est pas Bon. Il est Mauvais.
Sa Justice est Aveugle, mais Il saura où vous Trouver.
Non, M. Mort n'est pas Bon, même s'il sert le Bien.
De la Faucheuse je suis le Cousin, juste un Vilain Assassin...

 

 

 

 

 


Continuer la lecture avec le 3e extrait du Journal de M. Mort : « Pourri »


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