Kares Le Roy, des kilomètres …au conteur : Portraits du bout du monde

Temps de lecture: 9 min

« Grand-mère des Annapurnas » par Kares Leroy

Peux-tu te présenter, s'il te plait ?

Kares, 32 ans, à la base graphiste et directeur artistique pour le compte de l'agence 555Lab mais aussi photographe indépendant depuis 10 ans. J'ai travaillé dans l'industrie de la musique principalement, mais aussi dans la mode. J'étais en charge de donner une identité à des artistes et des marques. Au bout de 8 ans, j'ai tout arrêté pour me consacrer au voyage; ce qui a pris le pas sur tout le reste. J'ai quitté les carcans qui m’étaient imposés et j'ai été chercher d'autres formats de beauté, plus naturels, moins stéréotypés mais surtout peu connus. Mon travail est désormais plus proche de l’ethnographie (une branche de l’anthropologie, qui étudie l’être humain sous tous ses aspects à travers le médium de la photographie ou du dessin) que de la photographie de voyage. Je ne suis pas un globe-trotter malgré les apparences ; je suis avant tout un portraitiste qui s’intéresse à la beauté du monde, et je me déplace pour faire mon travail.

Comment es-tu arrivé à la pratique de cet art ? Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Je n'ai pas fait d'études. Une seule année de « mise à niveau » à Penninghen en 2000, puis je me suis lancé en indépendant. En 2001, quelques semaines avant les attentats de New York, j'ai commencé la photo avec un ami qui m'a tout appris le temps d'un été en Grèce. Après ces événements, j'ai décidé que je me devais de comprendre comment fonctionnait une partie du monde qui a été très stigmatisée à partir de cette date. Je n'ai pas oublié… Dans les années qui ont suivi, on a monté une agence de communication et un studio de création avec des graphistes, réalisateurs, photographes. On a appris sur le terrain nos métiers et le bizness en parallèle. On était vraiment jeunes (et ambitieux) mais c'est la meilleur expérience que j'ai eue.

Quelles leçons (positives ou négatives) as-tu tirées de ton passage dans la photographie de mode ?

Pas grand chose à dire. Je suis très loin d'en avoir fait le tour alors je ne parlerai pas de ce que je connais peu. Mais je sais que ce n'est pas un monde qui me correspond. J'apprécie certains grands photographes dans ce milieu. Ça me fait rêver de voir certains éditos mais l'envers du décors n'est pas pour moi. Je respecte, mais de loin…

Tu as sorti un livre cette année, « 56 000 kilomètres, un continent et des hommes », peux-tu nous en dire un peu plus ?

C'est un aboutissement ! Après mon retour en France, j'ai voulu enchaîner sur la production d'un livre. N'étant pas du genre à traîner sur les projets, j'ai monté ma maison d'édition pour ne pas perdre de temps avec des propositions au rabais. Je me suis enfermé avec une équipe restreinte et un mois après, j'étais chez l'imprimeur. Ce livre synthétise toutes mes recherches, fruit de mes pérégrinations en Asie. Un mélange de tous les peuples que j'ai pu rencontrer de Jakarta à Istanbul. C'est une mise en lumière des dernières cultures qui subsistent en marge de la mondialisation. Le livre est disponible un peu partout. Dans toutes les bonnes librairies de France et de Suisse ainsi qu'à la Fnac.

Cette année, le film qui reprend ces mêmes recherches photographiques est sorti gratuitement sur le net. « 56 000 kilomètres au cœur de l'Asie » est visible sur Vimeo pour tout ceux qui n'ont pas accès à ce livre ou qui ne veulent pas se casser la tête à tourner des pages !

Tu as donc beaucoup voyagé, comme on peut le voir à travers tes photos, comment organises-tu tes voyages ? Quand tu pars dans un « road-photographique », est-ce-que ton itinéraire est prévu à l'avance ou est-ce que les rencontres ou le hasard te guident ?

Oui, c'est de plus en plus organisé ! Je laisse une grande place à la spontanéité mais la réalité est que l'on arrive rarement dans les coins où je vais par hasard. Encore une fois, je ne suis pas un vagabond. Je ne me laisse pas « bercer » par la route, où les rencontres humaines que je ferais m' amèneraient à voir une culture que je ne soupçonnais pas… Je sais où je vais, j'ai une idée de ce que je peux y trouver et je sais plus ou moins comment y aller. Après, il y a toujours une part aléatoire de magie qui s'opère. La photographie est là pour cela.

Tu es passé par le crowdfunding pour financer ton dernier voyage à la recherche de « ta grand mère des Annapurnas », tu peux nous raconter un peu tout ça ? Et as-tu pu finaliser ton projet auprès des habitants de ce village ?

Non ! Je n'ai pas utilisé de crowdfunding pour financer mon dernier voyage. Bien au contraire ! J'ai entièrement financé ce voyage. J'ai fait appel à la structure KissKissBankbank, une plate-forme de financement participatif, uniquement pour pouvoir partager et rendre plus intéressant mon projet ; le financement consistait à améliorer les conditions de vie de la grand mère qui fait la couverture de mon livre. Ce qui est presque l'opposé… Dans un premier temps, j'étais sûr de vouloir retourner au Népal pour tenter de la retrouver et de lui raconter l'histoire de son portrait. Elle était devenu une égérie pour mon travail et je voulais la remercier. J'ai pensé à différentes solutions. Je pouvais simplement repartir en lui offrant un livre, un tirage et une somme d'argent que je considérais comme un « droit d'image ». Mais j'ai préféré faire participer les gens qui avaient été touchés par ce visage et qui voulaient participer à son bien-être. J'ai donc organisé une collecte de fonds pour éventuellement lui faire construire un habitat ou financer une chose qui pouvait lui plaire. Malheureusement, elle est décédée quelques semaines avant que je n'arrive dans son village... Elle avait 97 ans. Je n'aurai jamais le sentiment d'avoir finalisé mon projet puisque je ne l'ai pas trouvée directement. Le reste de sa famille, dont sa fille de 75 ans, a pu en profiter. J'ai pu, grâce à la somme que j'avais récupérée, payer les soins dont elle avait besoin. Mon correspondant sur place, le responsable de l'agence de trek Azimut Népal, me donne régulièrement de ses nouvelles ; meilleures chaque jour. Ce qui me rassure quant au bien-fondé de ce projet et de cet appel aux dons.

Est-ce-que tu travailles sur de l'argentique ou du numérique ? Penses-tu, comme certains, que le numérique a « tué » l'argentique dans la photographie ?

Je travaille principalement en numérique. Tout le projet 56 000km a été photographié avec un Canon 5D Mark2. Mais j'ai un Leica M6 avec des bobines en noir et blanc dans le fond de mon sac. Pour garder la main mais surtout pour me faire plaisir. C'est avant tout une démarche très personnelle que je ne montre pas. Mais je trouve que le débat entre l'argentique et le numérique est puéril. Il faut savoir évoluer avec son temps. L'argentique est surtout un truc de bobo. Les gens qui veulent rester à la pellicule sont des photographes du dimanche qui ne vivent pas de la photographie. Je comprends la pureté du geste mais sur le terrain, la réalité est autre. Qu'on n'aille pas me parler de différence flagrante dans la qualité. Cette époque est révolue. Même un photographe comme Salgado travaille désormais en numérique et quand on voit le résultat de Genesis, il y a de quoi se poser des questions… Le numérique permet une rapidité d'exécution et une force de créativité qui sont largement plus intéressantes que la poésie apportée par la pellicule.

Quelle est ta vision de la culture en France aujourd’hui ?

J'aime profondément la culture française, sa musique, sa langue, sa littérature. Et c'est parce que je l'aime tant que j'ai beaucoup de mal avec ceux qui la mettent en avant, qui la partagent ou qui la vendent. La plupart des médias ne font plus leur métier. Dans mon cas, la presse spécialisée photo, par exemple, n'a quasiment pas relayé mon travail et ne font tourner que les gros éditeurs qui prennent des pages de pubs. Dans la musique, c'est pareil ! En France tout est cloisonné. C'est triste. L'art et la culture sont nivelés vers le bas. Internet n'aide pas forcement. Mais en marge des gros diffuseurs, on a la chance à notre époque de voir naître des médias de contre-culture, en parallèle et qui se battent pour donner une voix aux indépendants. Je remercie au passage tous les blogs qui soutiennent mon travail depuis le début. Dans tous les cas, il est temps que la France laisse place à autre chose que les vieux dinosaures qui traînent chez Drucker le Dimanche. Sinon, on ne va pas s'en sortir…

Ton actualité et tes projets ?

Je suis actuellement sur la dernière ligne droite de la promotion de mon premier livre « 56 000 kilomètres, un continent et des hommes ». La première édition de 1000 exemplaires est partie l'année dernière. La réédition commence bien. Je vais repartir pour un long voyage vers la Perse d'ici peu. En parallèle, je travaille depuis 2 ans sur un livre sur l'identité des peuples des Balkans. J'ai passé beaucoup de temps cet été entre la Serbie, le Kosovo, la Bosnie et la Macédoine. Cette région du monde me fascine de plus en plus. Le fouillis ethnique qui se dégage après plusieurs années de guerre est très intéressant. C'est un fabuleux pont entre l'Europe et l'Orient que je rêve de mettre en lumière.

Si tu étais un livre, un film et une chanson ?

Un livre, « Samarcande » d'Amin Maalouf, pour la magie de l'Orient qu'il m'a apportée étant tout jeune et pour toute l'influence qu'il a eue sur mon travail (ndlr : livre par ailleurs menacé de censure en Turquie au début de l'année). Une chanson, « Suspicions » d'Ibrahim Maalouf, le neveu d'Amin, histoire de rester dans la famille et parce que je me régale d'écouter sa musique. Et comme film… « Et maintenant on va où ? » de Nadine Labaki. C'est le genre de scénario qui me parle. Ça se passe au Liban, une histoire entre musulmans et chrétiens. Très impliqué émotionnellement sur ce qu'il se passe là bas actuellement ; ça me résumerait bien.



Contact : Kares Le Roy

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