Il y a vingt ans, était publié pour la première fois le roman « Paris au XXe siècle », un titre devenu pour ainsi dire mythique pour les chercheurs verniens. Un roman de jeunesse de Jules Verne, au sujet très séduisant et resté inconnu pendant une centaine d'années.
Faute d'un manuscrit et de tout détail sur son contenu, on aurait pu douter de l'existence de ce roman et il aurait été risqué de l'inclure dans une bibliographie vernienne si le fils de Jules Verne n'avait pas pris la précaution de publier la liste des œuvres inédites de l'écrivain. En effet, à la mort de Jules Verne, survenue le 24 mars 1905, un des premiers soucis de Michel Verne, très probablement sur le conseil d'Hetzel-fils (l'éditeur de Verne), fut celui de publier le plus rapidement possible la liste des œuvres inédites laissées par son père pour éviter d'être accusé, plus tard, d'avoir écrit lui-même, et de toutes pièces, les textes qui allaient paraître sous le nom du célèbre écrivain. Bien que Paris au XXe siècle fut cité dans cette liste, parmi d'autres textes inédits, son contenu demeurait inconnu.
Les choses en seraient restées là si Piero Gondolo della Riva (érudit et collectionneur passionné par l’œuvre de Jules Verne) n'avait pas découvert, en 1986, dans les archives privées des héritiers de l'éditeur Hetzel, le brouillon de la lettre par laquelle ce dernier manifestait à Jules Verne son refus de publier Paris au XXe siècle, sous prétexte «qu'il nuirait à la réputation de l'auteur» et ajoute «Mon cher Verne, fussiez-vous prophète, on ne croira pas aujourd'hui en votre prophétie». La lettre en question confirmait également et une fois pour toutes, que ce roman avait réellement existé, même s'il avait disparu, il est vrai, et qu'il ne figurait pas parmi les manuscrits cédés par la famille Verne à la Ville de Nantes en 1980.
Retrouvé dans le coffre-fort de Michel Verne, que l'on croyait vide et dont on avait perdu les clés, il réapparaît en 1994 et jette un jour nouveau sur la totalité de l'œuvre littéraire de son auteur.
Le roman montre un jeune homme, Michel, lauréat d'un prix de poésie latine, dans le monde de 1960 où la science a triomphé, alors que la littérature, la musique, la peinture sont méprisées. On découvre dans cette œuvre de jeunesse un Jules Verne très pessimiste. Ce pessimisme qu'il gardera caché toute sa vie, ne surgira de nouveau qu'au cours de ses derniers romans.
Dans Paris au XXe siècle, le jeune Verne, 22 ans, crée un monde qui nous paraît tellement futuriste qu'on a peine à croire que ce roman ait pu être écrit en 1863 : des trains de métro propulsés à l'air comprimé, des voitures à hydrogène, des machines étonnantes ressemblant à nos photocopieuses et à nos ordinateurs. Jules Verne y anticipe l'augmentation du trafic motorisé, la formation des banlieues, l'abandon du grec et du latin dans nos écoles, l'évolution de la musique qui n'est plus chantée, mais hurlée, et l'influence de l'anglais sur le français.
Il imagine que les hommes-machines travailleront dans des bureaux kafkaïens et que la seule idéologie de l'homme moderne sera le Profit. À travers le regard ironique de son héros, Jules Verne dresse une critique de la société de son époque et de notre époque, société qui mène à l'aliénation et à la surveillance totale de l'individu par les machines ; les robots n'arrêtent pas seulement les voleurs dans les banques, ils prononcent et exécutent également la sentence.
Piero Gondolo della Riva écrivait à son propos :
L'aspect le plus intéressant de Paris au XXe siècle est, à mon avis, le fait que cette œuvre se présente, pour ainsi dire, comme une encyclopédie de la pensée vernienne avant la lettre, qui permet de remettre en question plusieurs affirmations des critiques. On a soutenu, par exemple, que Jules Verne, optimiste par sa nature en ce qui concerne les destins de l'homme et les progrès de la science, aurait cessé de l'être à cause de différentes circonstances : la guerre de 1870, sa situation familiale (un ménage qui n'était pas des plus heureux et un fils extrêmement difficile, surtout dans la période 1877-1887). Et puis l'attentat de 1886, la mort d'Hetzel et celle d'une maîtresse mystérieuse auraient conduit Jules Verne, à la fin de sa vie, à un pessimisme dont ses dernières œuvres seraient le reflet.
La lecture de Paris au XXe siècle, œuvre de jeunesse et autobiographique par excellence, prouve le contraire. Le jeune Verne qui, ayant vêtu les habits du protagoniste Michel, écrit des vers et cherche un éditeur, a une vision tragique des relations humaines, d'une société où, exception faite pour quelques amis, on est seul (et l'épisode du marchand de fleurs, au chapitre XVI, me paraît en ce sens emblématique). Le pessimisme est donc présent dès le début de son œuvre. Il s'agit en fait d'une constante de la pensée de Jules Verne qui fait ça et là son apparition tout au long de sa carrière littéraire. Toutefois, ce pessimisme est, dans Paris au XXe siècle, secoué d'un humour ravageur et constamment tonique. Il invite le lecteur à jeter lui-même un regard décapant sur le monde qui l'entoure.
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