Aujourd'hui, nous présentons ValK, membre du collectif pictural Bon-Pied Bon-Œil. ValK, ce sont des photos qui témoignent, mais pas seulement : ce sont des images où la forme artistique et le social ne font qu'un, où la revendication n'est jamais bien loin. Elle est une de ces photographes qui mêlent habilement éthique et esthétique, qui capturent des instants de luttes et transmettent la parole des murs où le peuple s'exprime. Une belle errance engagée, entre nature et friches industrielles et qui retranscrit des énergies combatives.
Valk, à travers son objectif, nous conduit dans une sorte de quête et d'enquête visuelle qui s'étend du monde urbain au rural, au cours de laquelle s'immortalise paysages de paix et visages de luttes.
— Peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?
ValK, photographe et... activiste ? Je sais pas trop comment définir le truc !
Je décris souvent mon univers avec ces mots : « traces, faces, lueurs, sueurs, heurs, chœurs... » et en ce moment, avec tout ce qui se passe autour de la ZAD, je pense sérieusement à y ajouter « ni scoop, ni secrets », deux recherches du journalisme, justement, et de la consommation des luttes, un truc éminemment vendeur, très lié aux abus que cause le capitalisme. Du coup au fur et à mesure, j'ai essayé de modifier ma façon de photographier, cherchant certes toujours une forme de beauté dans toute chose —oui, le beau est très relatif—, mais, par exemple, en même temps que les Camilles sont né-e-s, dans le but de ne pas donner de prise à un type d'identité, j'ai cessé de chercher absolument des « beaux portraits », pour tenter de représenter la lutte sans forcément une icône ni même une représentation individuelle. Quand même c'est génial qu'au bout de tant d'années, il n'y ait toujours pas un-e héro-ïne de cette lutte, mais des centaines ! J'ai aussi cessé de me précipiter sur les « actions », ayant une préférence de toute façon pour leurs traces et n'ayant aucune envie de mettre quelqu'un-e en danger dans sa manière de lutter. La répression est féroce dans ce mouvement, et on a un peu tendance à l'oublier avec le romantisme militant ou le « riot-porn »...
Certes c'est pas facile et j'ai encore régulièrement des réflexes à questionner, mais j'ai appris les choses les plus intéressantes en photo en devant dépasser des obstacles et, finalement, en m'appuyant dessus comme une force.
— Dis-nous en un peu plus sur le collectif Bon pied bon œil dont tu fais partie ? Son ancienneté, qui le compose, son leitmotiv...
Ce collectif est né de la rencontre de plusieurs photographes / vidéastes lors du contre-sommet du G8 à Heiligendamm (Allemagne) en 2007. Après cette expérience, forte, il y a eu l'envie de continuer, en particulier autour de collages photos, manière de rendre aux luttes nos visions de l'intérieur, puisque nous en faisons partie. Nous ne sommes pas objectif-ve-s, nous prenons nos objectifs pour militer, démontrer l'oppression, la domination et montrer la beauté dans la lutte, sa fulgurance, sa poésie. Avec le temps, le collectif s'est ouvert à d'autres photographes / vidéastes, même temporaires, qui partageaient des convictions et une éthique proches. C'est ainsi que Tomagnetik et Genetikmonoeil sont venus me coopter lors de la manif de réoccupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le 17 novembre 2012.
Son fonctionnement est un peu... anarchiste : c'est l'autogestion et l'horizontalité avant tout ! Chacun-e fait sa route dans les luttes comme dans sa vie. Parfois nous nous prévenons pour telle ou telle occasion, nous profitons du réseau collectif pour informer sur certains sujets qui nous touchent, mais quand on a le temps, car en vrai on est tellement pris-e-s dans le tourbillon de la vie qu'on oublie souvent de le faire. Notre site web est rarement mis à jour et la multiplicité des plateformes de communication, l’hégémonie de certains réseaux « sociaux » si pratiques mais qui ne représentent pas forcément nos valeurs, ça aide pas !
Le truc chouette, c'est quand on arrive à se croiser : ça donne souvent l'occasion de faire un collage ensemble. Les derniers en date étaient à Marseille, sur les mur de Manifesten, en soutien aux disparus d'Ayotzinapa au Mexique. Le Mexique dont je revenais juste de 6 mois de voyage et où ont été faits les trois collages précédents. C'était un voyage imprévu et incroyable, en partie pour représenter la lutte de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, avec des super rencontres comme le squat Chanti Ollin à Mexico, et les zapatistes au Chiapas, mais pas que... bref, il y en a eu dans plein d'autres lieux des collages, plein de rencontres de dingues, la liste est longue !
À ce jour, il y a, de manière plus ou moins active dans le collectif : Tomagnetik, dont tu avais déjà parlé, Genetikmonoeil, Wolf, FloRiz Han, Ojabierto, Ezhelene, Keruschka, Vaneß et moi-même. On ne cherche ni à s'agrandir, ni à se structurer... En vrai, ce collectif n'est pas un but ou un projet à développer, il est plutôt un véhicule !
Collages du collectif Bon Pied Bon Œil :
— Comment en es-tu arrivée à la photographie ?
Lentement mais sûrement !
Je sais pas trop ce qui est intéressant, dans mon histoire avec la photo... peut-être dire que mon premier regard conscient a eu lieu à Telgruc-sur-Mer, adolescente, face à une symphonie de couleurs et matières telles que ça a guidé le reste de ma vie en une soif de vision(s) transcendante(s)...
Peut-être dire que j'ai fait une scolarité contrariée qui m'a enrichie, passant des années dans une école catholique de jeunes filles à rêver d'études artistiques pour finir à 23 ans aux Beaux-Arts, face à des enseignants m'expliquant que, puisque je ne rentrerai pas dans le moule, ils étaient au regret de se séparer de moi dès la première année...
Peut-être dire que quoi que je fasse, où que me portent mes errances, je reviens toujours à la photo...
— Ton objectif traine énormément dans la ZAD de NDDL, tu sembles très impliquée dans ce milieu ; en tant que personne « de l'intérieur », comment vois-tu l'avenir de cette nouvelle force politique populaire ?
Je ne traîne pas énormément dans la zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes, mais j'y vais pour les AG, pour les temps forts, pour les moments où nous y sommes invité-e-s et quelques fois par amitié aussi, de vrais liens se sont tissés ! J'y fais beaucoup de photos car ce sujet occupe désormais quasiment toute ma vie. Il y a la lutte, mais il y a la vie commune qui s'y crée aussi. Si je n'avais pas de problèmes avec l'humidité, je suis sûre que j'y habiterais depuis longtemps. Mais comme je ne peux pas trop y rester, j'essaye au moins d'y apporter ce que je sais faire.
Comment je vois l'avenir ? Que ce soit sur un plan global ou pour la ZAD en particulier, ça dépend des jours, des nouvelles, des rencontres : il y a plein de mondes dans ce monde et pour l'instant l'un d'entre eux écrase la plupart des autres. L'avenir se construit et se déconstruit à chaque seconde, je suis incapable de le définir. Je peux juste dire que je le souhaite le plus juste possible, le plus horizontal et généreux possible. Je peux juste dire que je me bats, chaque fois que j'entrevois une fenêtre ouverte, contre l'avenir sombre qu'on nous fabrique, là haut, dans les sphères dites « autorisées », tellement déconnectées de l'humanité. Je ne doute pas que dans chacune de ces sphères, certain-e-s sont persuadé-e-s d’œuvrer pour le bien de l'humanité. Mais quand c'est fait dans une société ayant comme dieu l'argent et comme dogme le pouvoir, ne pas s'y opposer est une forme de collaboration à l’oppression ambiante.
Je suis en train de découvrir le boulot d'une nana qui s'appelle Audrey Vernon et je suis assez impressionnée par sa capacité à dire clairement des choses évidentes... mais qui ne se disent plus. Un peu comme lorsque j'ai commencé à piger les textes zapatistes, qui peuvent paraître si simples, mais qui ne sont jamais simplistes, bien au contraire. Le voyage fait avec la délégation de la ZAD au Mexique, puis personnel au Chiapas a été une confirmation que globalement, il y a peu d’oppresseurs... mais que nous travaillons quasi tous pour le système d'oppression.
Du coup, pour ce qui est de la force politique populaire, je ne suis pas sure qu'elle soit nouvelle car elle prend racine dans une suite de luttes locales et globales millénaires, et pour celle qui concerne la ZAD, avec son rapport à la terre, elle reprend aussi racine dans la sagesse ancestrale, dans le sens profond de la vie. Elle questionne les choix qui ont été faits, elle tente des approches différentes. C'est ce qui fait sa popularité, elle parle à beaucoup d'entre nous, quand bien même nous ne cultivons pas des végétaux ni ne sommes des éleveurs d'animaux, nous semons de l'espoir et récoltons en fonction de ce que nous mettons dans notre action.
Il y a de gros fantasmes autour de la ZAD, beaucoup de visions caricaturales. En vrai, c'est beaucoup plus simple et complexe, comme la vie partout : c'est un village qui s'est créé, paradoxalement artificiellement, de manière un peu explosive, et les retombées de ces explosions n'en finissent pas. Sur cette zone humide, on y craint autant le képi que le déferlement de militant-e-s, on y craint autant la stigmatisation que la muséification ! Mais ce n'est ni un ramassis de beatniks fainéants, ni de sur-humain-e-s. Il y a cependant plus qu'ailleurs des rencontres pour vivre ensemble, la volonté d'éviter des enfermements comme la prison, la tentative de trouver des solutions malgré les différences. Ça gueule très souvent, parce que le sens critique y est très développé, ainsi que la volonté d'indépendance. Mais du coup, quand on tombe d'accord, c'est inébranlable, et y'a quand même un paquet de trucs sur lesquels on est d'accord, pas seulement sur la stupidité de ce projet d'aéroport, mais aussi sur le monde dont il est le symbole !
Voici deux des textes pour comprendre la ZAD que je conseille le plus, en dehors des appels, c'est ceux-ci : « Label ZAD et autres sornettes » ainsi que « De la ZAD aux Communaux ? ». Il ne représentent absolument pas du l'ensemble de la ZAD mais montrent bien la richesse des pistes abordées par les idées qui s'y développent.
La ZAD :
— Avec quel appareil officies-tu, et que penses-tu du débat argentique/numérique ?
Je suis passée de l'argentique au numérique, je sais donc que le débat est plutôt inutile s'il cherche à établir des trucs de supériorité. Un appareil photo est un outil, rien de plus, rien de moins. Le tout est qu'il soit adapté à notre manière de voir et de vouloir transmettre. Il y a hélas le facteur financier qui joue aussi, mais il ne faut lui accorder trop d'importance, plutôt chercher d'autres pistes quand l'une est bloquée.
Ces dernières années j'ai travaillé avec un Nikon D300, mais il est en train de tomber en lambeaux, tenu par du gaffeur, des bugs un peu partout, ça devient de la voltige que de bosser avec ! J'avoue beaucoup penser à lui trouver un remplaçant, sauf qu'il faut quand même un budget et la lutte prenant tout mon temps, et comme je ne suis plus dans une démarche de vente, bah...
J'ai quasiment arrêté les photos de spectacles et beaucoup ralenti mes séries personnelles. La lutte a beaucoup changé ma manière de photographier et, pour plein de raisons, je photographie actuellement beaucoup plus avec mon téléphone. Bon c'est un Samsung S4 Zoom, faut dire, à peu près au niveau d'un appareil photo pocket, avec l'avantage d'avoir un programme de retouche intégré. Et je m'amuse beaucoup avec. Je crois que c'est ça le truc, c'est de s'amuser, de bien s'entendre avec son outil, pas le subir. Je souhaite à chacun-e d'avoir la passion d'une Marie-Louise Bréhant, par exemple, une photographe nantaise née en 1920 et qui continue d'expérimenter, encore et toujours, fougueusement !
— Si tu devais définir la photographie en une phrase ?
Ça, c'est la question idéale pour que je ne sache plus quoi dire !!! J'ai beau être photographe, je n'aime pas figer les choses ;)
— Si tu avais un seul conseil à donner à quelqu'un qui se lance dans la photo ?
Un seul ? On apprend de ses erreurs.
Fil-le-s de luttes :
— Des projets, des expositions en vue ?
Hummm, des tonnes d'envies, mais je manque de temps et de moyens. Et peut-être aussi la sensation d'une certaine importance de le faire par rapport à plein d'autres choses qui me semblent beaucoup plus importantes.
Je vais quand même participer à la semaine des Résistances à Nantes avec une petite projection de photos que j'ai prises au Mexique.
En vrai j'adorerai transmettre plus, raconter, mais hélas je ne prends pas le temps de le faire.
Et puis dans l'absolu mes photos sont déjà un peu partout avec des cartes postales ou affiches de la ZAD et les collages laissés ça et là. Et même si c'est de manière moins incarnée, je transmets quand même !
— Si tu étais un livre ? Un film ? Une chanson ?
« La Horde Du Contrevent » d'Alain Damasio — Attention, j'ai un rapport très particulier avec ce livre : je ne l'ai toujours pas lu ! Je le picore trèèèèèèèèès lentement. J'ai la sensation qu'il va me happer, sinon... bon j'arrête là sinon on va définitivement penser que je suis folle !
« Arizona Dream » de Emir Kusturica
Pareil, je me suis fait totalement happer, et ça a provoqué une réaction que je n'oublierai jamais..
« Eva's Song » de Meredith Monk
— La question que tu aurais aimé que l'on te pose, et la réponse que tu aurais donnée ?
« Es-tu heureuse et pourquoi ? »
Oui. Parce que je me sens utile.
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