« Images d'enfants noyés, réminiscences d'exodes du passé, devoir humanitaire... Nous ne pouvions plus rester assis derrière nos écrans. Alors nous avons pris nos billets [d'avion], pour ne plus laisser l'histoire être écrite par d'autres. Nous n'avons pas la prétention d'avoir le pouvoir de changer la face du monde, mais nous restons intimement persuadés que chaque goutte d'eau pompée aide à éviter de couler. »
Ainsi est né le Projet Exodus, il y a quelques semaines. Puis, avec le soutien d'internautes (via une première et modeste campagne de financement participatif), une petite équipe fut mise sur pied et réalisa sa première mission humanitaire, une semaine sur l'île grecque de Chios.
Chios a longtemps été érigée comme modèle pour sa gestion de l'afflux de réfugiés. Durant des mois, la mairie, les ONG, la police et les gardes-côtes ont réussi à coordonner leurs efforts pour accueillir (presque) dignement et de manière organisée les dizaines de milliers de migrants arrivés en 2015. L'augmentation du flux de réfugiés depuis le début de l'année 2016, la fermeture de la frontière gréco-macédonienne fin février et la transformation du centre d'enregistrement ouvert en camp de détention, suite aux accords UE-Turquie, ont changé la donne. Surpeuplement, insalubrité et insécurité : la situation est devenue extrêmement critique.
C'est là qu'entre en scène le Projet Exodus : « [Lors de cette première mission] nous avons pu voir de près la situation des réfugiés, arrivant par la mer dans des conditions extrêmes (beaucoup de blessés / gelés / brulés, hypothermie, etc.) […] Par le biais du CESRT (Chios East Shore Rescue Team) et en partenariat avec l'équipe de secours de SMH (Salvamiento Maritimo Humanitario), nous avons travaillé de longues heures, mis beaucoup de chaussettes sèches sur des pieds mouillés, réchauffé les réfugiés avec des couvertures de survie, offert des câlins, remonté le moral de familles, écouté l'histoire de ces personnes et les avons fait se sentir les bienvenus. »
Sarah, à l'origine du projet Exodus, a tenu un journal de bord où elle raconte le quotidien des bénévoles sur la côte : surveiller la mer nuit et jour, accueillir et apporter les premiers secours aux réfugiés repêchés par le SMH ou par les gardes-côtes, fournir et distribuer de la nourriture, de l'eau, des couvertures, des vêtements secs, des bonbons pour les enfants. Attendre avec eux jusqu'au matin que les bus (payants!) déportant les réfugiés jusqu'au hotspot soient actifs. Parfois, les passeurs sont arrêtés par les autorités, les réfugiés sont alors contraints de rester dans le port pendant plusieurs heures pour témoigner, et de dormir à même le sol, sur le quai.
L'équipe s'est également portée bénévole dans les 3 camps de l'île : le centre de détention de VIAL — le hotspot officiel—, Souda et Dipethe. Les conditions de vie dans ces camps sont très dures : peu ou pas d'eau, nourriture difficilement conservable, pas de soins appropriés pour les personnes handicapées, malades ou blessées, manque de vêtements... Ces conditions difficiles, dans des camps fermés et bondés peuvent créer de fortes tensions et dérives (rixes, vols, viols...). En plus de ces tensions internes, le gouvernement grec ne fournit que peu ou pas de moyens aux autorités locales pour gérer la situation —ou pire encore—, exacerbant les tensions entre réfugiés et locaux.
« En parallèle de nos autres activités —les débarquements et les problèmes de gestion des camps—, les manques de recensement et de suivi des personnes vulnérables, de présence juridique, de conseils et de documentation étaient frappants. […] Lors de ce qui devait être notre dernière nuit sur l'île, nous avons pris la décision de rester et d'apporter notre aide sur les plans juridiques et organisationnels. »
Amnesty International et Human Right Watch ont fait les mêmes constats.
La mission est prolongée durant 2 semaines supplémentaires, financées sur les fonds personnels des volontaires. Le Projet Exodus prend dès lors, une nouvelle dimension : « Grâce aux fantastiques personnes que nous avons rencontrées sur l'île (qu'ils soient réfugiés, locaux ou bénévoles), nous avons monté une équipe internationale de personnes compétentes : secouristes, traducteurs, journalistes... ».
– D’où viens-tu ?
– Afghanistan, Syrie, Turquie, Irak, Iran, Ghana…
– Tu es seul(e) ?
– Oui.
– Où sont tes parents ?
– Morts.
– Et le reste de ta famille ?
– Morts.
– Tu as des proches en Europe ?
– Non.
– Dans un autre pays ?
– Non.
Sois forte, ne pleure pas, ne laisse pas transparaître ta tristesse, regarde-les dans les yeux, souris, prends les dans tes bras, fais une blague pourrie, rassure-les. Joue au ballon ou chahute avec eux pendant un moment, puis va écrire leur histoire, rassembler les informations, les données et les numéros de téléphone dans un tableau…
Mais tout ce que je vois c’est des visages. Des yeux timides, courageux, souriants ou traumatisés, dans lesquels on peut plonger et ressentir la froideur de ce monde. Tout va bien aller, maintenant. Ils sont en Europe, ils sont saufs… N’est-ce pas ?
— Extrait du journal de Sarah
En plus de documenter les cas d'enfants non-accompagnés et de personnes vulnérables, l'équipe a également contribué à la mise en place d'un conseil représentatif et démocratique dans chaque camp, l'équivalent d'un conseil municipal, indépendant des autorités et des ONG, et leur ont fourni toutes les informations juridiques et administratives qui permettront aux réfugiés de reprendre un peu pouvoir sur la gestion de leur situation. Récemment, d'autres bénévoles ont même monté une école pour les enfants des camps.
« Ça ne changera pas le monde... mais il ne pourra pas dire qu'il ne savait pas... »
« Nous souhaitons à présent voyager de camp en camp, de rive en rive, d'un pays à l'autre pour recenser et aider les populations vulnérables (femmes enceintes, allaitantes, enfants et mineurs non-accompagnés, personnes malades, blessées, handicapées, victimes de violences psychologiques et/ou physiques…), lutter contre le trafic humain, fournir du soutien, des informations administratives et juridiques et accompagner les réfugiés dans leurs démarches administratives, aider à l'organisation et à la gestion des camps, faire du conseil et du reporting. »
« Nous voulons documenter et rapporter les cas d'atteintes aux droits de l'Homme ainsi que les dénis de justice et d'information juridique de toutes les frontières et de tous les camps de la "route des réfugiés", d’Athènes à Stockholm. Les rapports seront bien sûr à destination parlementaire mais aussi disponibles pour les volontaires, pour les ONG et enfin pour les réfugiés eux-mêmes. Il est de notre responsabilité de démonter le mythe répandu de l'Europe des droits de l'homme. Ils ont le droit de savoir. Ça ne changera pas le monde... mais il ne pourra pas dire qu'il ne savait pas... »
« Les personnes bloquées dans ces installations ne peuvent compter que sur des bénévoles indépendants, tels que nous »
Les missions du Projet Exodus revêtent une importance particulière au moment où les grandes ONG se sont retirées de nombreux hotspots, en signe de protestation contre l'accord UE-Turquie, mais abandonnant ainsi derrière-elles des milliers de réfugiés, livrés à eux-mêmes, dans des camps fermés.
« Les personnes bloquées dans ces installations ne peuvent compter que sur des bénévoles indépendants, tels que nous. […] Parce que cette crise massive et globale n'est pas seulement celle des échecs des gouvernements et des institutions mais aussi celle du paysage humanitaire depuis la seconde guerre mondiale (des ONG massivement financées, qui sont autorisées à travailler sur le terrain car elles suivent des processus, des règles d'engagement, des lignes directrices ainsi que les règles et les décisions politiques). Il est de notre devoir, en tant que volontaires indépendants, de nous occuper des laissés pour compte. »
Bien qu'indépendant, le Projet Exodus est tout de même reconnu, via le CESRT et le SMH, par Praksis, le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), les principales ONG (Save the Children, Samaritan's Purse, la Croix-Rouge…) et par des autorités européennes et locales (le BEAA, Frontex, le NRC, Europol-Interpol, la municipalité et la police nationale de Chios). Un cadre légal pour l'organisation est en train d'être établi pour aider ceux dans le besoin, sur un plus large plan. Ainsi, un binôme du projet Exodus était à Calais la semaine dernière, pour une évaluation des besoins organisationnels et de reporting du camp : « mais au vu des évènements, on a fait les pompiers et les secouristes », nous informent les bénévoles, qui ont déjà prévu d'y revenir très rapidement, pour une mission de 3 mois, en partenariat avec une ONG.
D'autres projets de missions sont à l'étude : dans les camps du Darfour, au Soudan et dans deux pays qui abritent de nombreux réfugiés ayant fuit le chaos syrien, en Jordanie et en Turquie (dans la région du Kurdistan, frontalière avec la Syrie, où de nombreux camps se sont formés).
« Aujourd'hui, nous avons besoin de votre aide pour faire plus, à une plus grande échelle. Notre but est d'aider partout, pas uniquement en Europe. La situation critique de milliers de réfugiés, bloqués dans tous ces pays est en permanence dans nos esprits et nous voulons apporter notre aide, de toutes les manières possibles, partout, tout le temps. »
« Nous ne pouvons faire tout cela sans votre aide !
Votre contribution, qu'elle soit petite ou grande, peut faire une réelle différence,
Merci ! »
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