Je vous souhaite la bienvenue en ma modeste masure métaphorique, fantastiques lecteurs, sensationnelles lectrices.
Le sujet du jour porte sur l’une des plus désastreuses calamités qui furent, qui sont et qui seront. En effet, je ne puis vous dire les terribles ravages qu’elle causera à l’échelle du monde, si ce n’est de l’univers. En fait, si, je le puis : ces dégâts seront affreux ! Atroces !! Horrifiques !!! Un marasme d’une telle ampleur que trois points d’exclamations ne sont pas de trop et que des dizaines d’années accompagnées de gibillions de galacto-dollars s’avèreront nécessaires pour y remédier.
Vous aurez déjà compris que j’affronte aujourd’hui une ignominie, on peut le dire, l’un des plus grands fléaux des temps modernes. Et j’exagère à peine, je vous l’assure. Ainsi ma rhétorique du jour prendra comme thème : « du racolage des manchettes d’articles ».
Je vous avais prévenu, mon adversaire apparaît des plus formidables.
Il est à la fois navrant et fascinant de parcourir tant de sites proposant des tonnes d’articles de (dés)information du style : ‘‘56 improbables raisons de lire ce torchon !’’ ; ou bien ‘‘Viendez voir ce que fait cette femme à la fin, c’est tellement guénial !!’’ ; ou encore, pour conclure, ‘‘36 façons d’examiner ses déjections dans les toilettes auxquelles vous n’auriez jamais pensé !!!’’ (J’avoue entretenir un doute à propos de cette dernière).
D’ailleurs, même si cela sort de mes habitudes, je partage un lien vers l’un de mes préférés : ‘‘Ne manquez pas de vous éblouir de ces 10 prodigieux parpaings, ils sont hallucinants ! vous n’en reviendrez pas !!’’ (Enfin… je veux bien que vous reveniez, si cela vous sied).
« Euh… c’est exactement la même chose, au final », me rétorquerez-vous une fois reviendu.
Et vous auriez complètement raison. Un, d’être revenu, c’est fort sympathique de votre part. Deux, par votre pertinente déduction.
En passant, si vous avez résisté à la tentation de cliqueter sur ce lien à l’accroche si alléchante, vous faites preuve d’une volonté non-négligeable. Car là encore, malgré son caractère absurde, cet article ne vise qu’un seul but !
« Mais lequel ? » discerné-je au loin sur un ton désespéré.
Audimat et génération de cliquetis !
Ce qui équivaut en langage moins courtois à du flouze, de la maille, de l’oseille et toute cette sorte de choses.
Le constat est des plus simples : plus ces sites attirent de naufragés de la toile, plus ils génèrent de clicks, plus ils engrangent d’argent.
Le but n’est plus alors de proposer de l’information, mais bien d’attirer le chaland par de racoleurs étiquetages.
Tous ces titres douteux représentent un appât, un ver si juteux et luisant qu’aucun poisson digne de ce nom ne résisterait à la tentation de croquer. D’autant que c’est gratuit, alors pourquoi se priver ?
Je ne vous raconte pas la synergie lorsque ces manchettes se voient accompagnées d’affriolantes iconographies. En l’occurrence, si, je vous raconte. Ça donnerait : ‘‘Ces dix-huit postérieurs de jeunes demoiselles à la pudeur étiolée pour lesquels vous éradiqueriez même votre tendre mère !’’
Ah ! Vous cliquetteriez, non ? Oui bon, d’accord, peut-être êtes-vous porté(e) sur la gent masculine ? Auquel cas, vous n’appartenez certes pas au cœur-de-cible. Nonobstant ce, vous m’accorderez la démonstration, j’espère. Ah, et s’il vous plait, ne trucidez pas votre maternelle pour un arrière-train. La plupart de ceux qui s’y sont essayés en sont revenus déçus.
Le pire, c’est que cela fonctionne ! Ce genre d’accroches possède le don de titiller notre curiosité. L’on se surprend ainsi à suivre ledit lien pour se retrouver, ô merveille, sur un site en proposant foison, toutes plus improbables les uns que les autres. Sans l’avoir vraiment voulu, on émerge de ce doux songe vers 4h du mat’, une myriade d’images virevoltant en boucle dans notre esprit : ces 17 paysages insolites, ces 42 chats-lol inédits, ces 14 façons de tromper votre femme à votre insu, ces 16 films dont personne ne se souvient ainsi que ces 33 extra-terrestres que nul ne voudrait rencontrer. Et aussi, ces 10 parpaings hallucinants.
L’on se félicitera alors que ce ne soient que des images et non des blocs de ciment emplis de bonne vieille réalité. Car, autant le préciser, une histoire avec dix parpaings virevoltant dans une tête se termine rarement bien.
Étant donné que j’ai déjà dérogé à ma règle de ne pas partager de liens vers des sites extérieurs, j’en profite pour ne pas en mettre un autre dont l’intitulé est :
« Women laughing alone with salads1 »
Oui, si vous savez lire l’angliche aussi bien que moi, vos yeux ne vous trompent pas. Des femmes qui rient seules. Ok, pourquoi pas. Mais avec ? Des salades…
« Comment ça ? m’interrogeais-je alors. Légume et tendron se gausseraient-ils de concert ? La jeune demoiselle se foutrait-elle de la gueule de cette pauvre laitue qui n’avait rien demandé ? Me présenterez-t-on là un troublant spectacle de végétaux à la verte parure ? »
Cette myriade de questions dansait dans ma fragile caboche à la manière de parpaings en rut et ma faiblesse s’avéra la plus puissante. Je cliquetais… oui, je l’avoue, pour aller voir des femmes. Des femmes solitaires s’esclaffant en compagnie de laitues et autres batavias. Et, bien qu’à nul moment de cet intense article l’on ne puisse apercevoir un impudique arrière-train, je peux vous le certifier à présent, son absurdité le propulse dans ‘‘Le top 22 des trucs que vous ne regretterez pas d’avoir visionné !!’’
Une question me vient : lorsque vous avez parcouru les articles susmentionnés, en êtes vous vraiment ressorti plus riche de savoir ? J’en doute. Personnellement, j’éprouve la plupart du temps le sentiment de m’être fait berner ou d’avoir perdu mon temps (et vous savez peut-être que je n’apprécie guère cela2).
J’en viens donc à ma conclusion – et pour une fois, j’en ai une : ces sites personnifient les maquignons de l’information. Ils participent du dépérissement de la qualité déjà douteuse de celle que l’on nous propose par ailleurs.
Alors, résistez ! Prouvez que vous existez ! N’alimentez pas la machine à cliquetis ! Ne soyez pas la poiscaille que l’on attire à l’aide d’un appât enjoliveur mais avarié !
Même si l’article vous vante les merveilles de « ces 8 postérieurs testostéronneux en relation avec des potirons qui ne vous laisseront pas de marbre » (pour vous, m’zelles (ou m’sieurs, d’ailleurs)), Résistez ! Ne cliquetez don’ pas !
Sur cette promesse mutuelle, ne me reste qu’à vous gratifier d’un tonitruant :
À la revoyure !
Arno
- Ce que lunette-trad nous traduit par :
« Les femmes en riant seul avec salades » (sic)
Ou que l’on pourrait aussi interpréter par « Qu’est ce qu’on se gondole en compagnie de scarole. » - Confère le Nique la Kro ! n°11 à propos du temps et de l’argent.