— Salut NnoMan ! Comment en es-tu venu à l'image ? Parle-nous un peu de ton parcours et background culturel.
J'ai, très jeune, été attiré par la photo. Je voulais garder des souvenirs, des choses que je vivais d'une part, mais aussi rendre esthétique mon environnement. J'ai la chance d'avoir un proche qui était photographe amateur et qui m'a laissé faire mes premières photos avec lui. Ensuite, vers 17 ans, lorsque j'ai eu ma première paye , j'ai pu acheter un peu de matos et commencer la photo.
— As-tu attaqué la photographie directement avec des inspirations sociales ou y avait-il, à l'origine, des motivations plus artistiques ?
Je ne me suis jamais vraiment vu comme un artiste. Je shootais beaucoup de graffitis dans le RER, dans mon secteur... Je voulais créer un magazine de street-art quand j'étais au collège et après je me suis mis à la photo de manif. Je voulais montrer ces gens qui luttent. Qui usent leurs chaussures pour se faire entendre.
— Parle-nous un peu du collectif « OEIL ». Sa fondation, son évolution, son leitmotiv ?
OEIL, c'est à la base 4 amis, 4 photographes. On a souhaité consolider quelque chose, poser les bases d'un projet plus ambitieux que juste « 4 potes qui font de la photo ensemble » On a créé ce collectif pour nous renforcer, gagner en visibilité mais surtout en efficacité. Quand, sur une même journée, on est sollicité plusieurs fois, on a la force de répondre présent, à plusieurs endroits si c'est nécessaire. Aujourd'hui, on est trois et ça avance bien. On se répète souvent ce proverbe qui dit que si tu veux aller vite , pars seul, quand tu veux aller loin, pars à plusieurs. Son leitmotiv, c'est de mettre en image celles et ceux qui luttent, dans nos quartiers, en France, à travers le monde.
— Tu as récemment été la cible d'une mesure d'interdiction aux manifestations, il semblerait que ce soit une première en France pour un journaliste. J'imagine bien que ça ne te freinera pas au contraire, mais quel est ton point de vue là dessus, et où en est-on de cette histoire ? J'ai vu que l'interdiction a été levée depuis, mais est-ce que pour autant tout est fini, va-t-on te laisser exercer et marauder tranquillement ?
En effet, c'est une première et j'espère une dernière. C'est une mesure que la France aurait critiqué venant d'autres pays. L'hypocrisie à la française... Aujourd'hui, c'est réglé. Mais pendant 24h les médias m'ont largement donné la parole et dans la rue les policiers me reconnaissent. Du coup, c'est au choix : des prises de têtes ou des blagues plus ou moins lourdes... Ils essayent de nous intimider sur le terrain (violences, insultes...). Ça nous fait pas partir. Ils ont essayé avec une interdiction, je suis de retour. Il en faudra plus pour nous empêcher de bosser. Là, je parle de mon collectif et d'autres avec qui j'ai l'habitude de bosser sur le terrain, notamment l'équipe de Taranis News.
Rassemblement devant le tribunal de Bobigny le jour du procès contre les policiers impliqués dans le drame de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. 18 Mai 2015 ... le jour de la relaxe pour les policiers:
— Toi qui es « au cœur de la meule », sens-tu un réel changement des mentalités, une véritable résurgence de la lutte et sa convergence, un vrai élan pouvant aller au delà du feu de paille ?
Difficile à dire. On a un durcissement dans la manière de lutter. On a une jeunesse qui découvre que le police peut être violente et injuste. On a une génération qui se rend compte que ça ne va pas s'améliorer s'ils restent simples spectateurs... Pour autant, la convergence et le changement se fera si, et seulement si, nos quartiers populaires se mettent dans la lutte pour la justice sociale. Nos quartiers sont en lutte, aujourd'hui s'ils ne passent pas le pas de rejoindre ce qui est entrain de se passer , on va passer à côté de quelque chose... Tout comme les organisations militantes sont passées à côté des révoltes de 2005.
— « Fumigène Mag », un nom qui sent bon la lutte, tu peux nous causer un peu de cet organe ?
Fumigène, c'est un média Made in terter, créé par mon Frérot Raphäl Yem, dans la banlieue de Caen, à Hérouville-Saint-Clair. Il a tenu en kiosque 10 ans et on a relancé le projet l'année dernière. L'idée, c'est qu'une fois qu'on a fait le constat que les médias ne donnent pas la parole aux banlieues, ou peu, ou mal... On devait s'en charger. Et y'a pas besoin de gratter pour trouver des initiatives positives, des exemples... Les quartiers en sont pleins, faut juste les voir et leur donner la parole ! Du coup, on édite ce magazine qui est gratuit et qu'on distribue par des réseaux, à la débrouille, dans toute la France.
Manifestation - Evacuations forcées - Occupation d'une caserne abandonnée en plein Paris, les refugié.es tentent de survivre dans la capitale:
— Est-ce que certains « gros journaux » ou « mass média » t'ont déjà fait des propositions de rejoindre leurs écuries, et serais-tu prêt à mettre dans la balance un peu d'indépendance pour y gagner plus de diffusion de tes images ?
Non jamais. Je balance mon travail à une agence qui distribue ensuite sur une plateforme pro de l'AFP. De là, les médias achètent, ou non, mes photos. J'envoie les photos que je veux et ils prennent s'ils veulent. Je n'espère jamais devoir faire des photos qui vont à l'encontre de mes valeurs et principes d'aujourd'hui, pour de l'argent !
— L'Ambiance dans le monde des « photo reporter de mouvement sociaux ». Est-ce que la solidarité et le respect y sont de mise, ou bien la compétitivité et la course au scoop et à l'image y sont-elles aussi présentes que dans des secteurs plus « people » de la photo ?
Y'a plusieurs niveaux. Sur le terrain, on distribue 3 catégories. Les photographes signées en grosses agences , les indépendants, plus jeunes et les amateurs. Les 3 catégories bossent ensemble en interne mais se mélangent peu. Pour les grands agenciers, même s'ils ne le disent pas, on représente une menace. Entre nous, surtout en ce moment, on est super solidaires et bienveillants. Après, si un contact te file une exclue importante, tu peux pas mettre tes 30 potes sur le coup car c'est 30 fois moins de chance de vendre ton reportage. Mais en général on est vraiment content quand même sur un même événement, l'un d'entre nous fait une publication prestigieuse.
Occupation de rails - Manifestation - Autodéfense populaire: différentes voies pour atteindre un même but: le retrait de la loi ElKhomry:
— Quelle est la question que tu aurais aimé que je te pose, quelle aurait-été sa réponse ?
Hahaha. « J'ai une enveloppe illimitée d'oseille pour te payer tes photos, Combien tu veux par mois pour continuer à faire EXACTEMENT les mêmes reportages ? » Je t'aurais répondu : « Le plus possible, comme ça, je fais mes photos, je peux faire des reportages à l'étranger, exposer pour que tout le monde en profite et redistribuer ce dont je n'ai pas besoin ! ».
— Des projets en cours, des rdv à fixer à nos lecteurs ?
Pour l'instant j'ai la tête et les yeux à fond dans ce qu'il se passe autour de la loi Travail. J'ai hâte de voir l'issue que ça va prendre, pour me poser un peu et prendre du recul sur mon travail et sur la suite. Pas de gros projets pour l'instant... Du moins pas de projets publics.
— Si tu étais un livre ?
Feu au centre de rétention (sur les conditions de vie dans ces prisons pour sans papiers...)
— Un film ?
Carnet de voyage - (sur la vie de Che Guevara avant qu'il ne devienne révolutionnaire)
— Une chanson ?
L'hymne Corse. C'est un des seuls sons qui peut faire battre mon cœur plus vite, à n'importe quel moment de ma journée ; c'est mon côté indépendantiste ! Haha. Mais sinon en ce moment, j'écoute en boucle le dernier album de Brav du label Din Records.
Faces à faces tendus entre les manifestant.es et la police qui réprime:
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Belle série d'images. Chapeau.