Le Journal de M. Mort : « Diamants »

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Retrouvez les 3 premiers extraits du Journal de M. Mort :
1. Le Journal de M. Mort : « Qui Tue Un Chien »
2. Le Journal de M. Mort : « Le Premier »
3. Le Journal de M. Mort : « Pourri »


 

Visuel par Virginie Amo Biondi

 

« Diamants »

 

Aux yeux de mes congénères, ma haine n’est pas justifiable. Si un jour je tombe sous le couperet de la justice, je sais que je serai incompris. Je n’ai pas souffert d’un père violent et mon enfance ne fut pas miséreuse ; les jurés n’auront donc pas le loisir de m’accorder les circonstances atténuantes. Mon aversion envers l’espèce humaine pourrait même leur paraître déplacée. M. Mort ne rentre pas dans les schémas des profileurs et psychologues de la Crim’ : pas de maisons de corrections, d’abus sexuel au catéchisme ou de maltraitance en camp de vacances ; je suis loin du cliché du tueur ayant subi de violents traumatismes pendant son enfance. Mes camarades d’école ne m’ont jamais pris comme tête de Turc, au contraire, j’ai toujours eu des amis aimants, et ce jusqu’à ce jour où j’ai décidé de définitivement couper les ponts avec la civilisation. Le jour où ma vie publique d’artiste m’étouffa pour de bon, où j’en eus assez de jouer la comédie, et décidais d’assumer pour de bon ma froideur et mon incapacité a réellement m’attacher. Je n’ai aucune idée d’où me proviens ce trait de caractère reptilien, cette faculté à oublier quelqu’un à la vitesse d’un claquement de doigt, mais j’ai toujours du composer avec cette absence de sentiments réels. Je feignais l’amitié ou l’amour mais la vérité est que hormis ma proche famille, il n’y a aucune personne sur cette terre qui ne m’ait manqué ne serait-ce qu’une seule fois. Pour moi, un ami ou une compagne est juste quelqu’un que je ne déteste pas, que je peux fréquenter sans être ennuyé, dégoûté ou énervé. L’amour pour moi n’est que la capacité à vivre ensemble sans se faire de mal. Je suis capable de tendresse et de compassion, mais rien de plus. Rassurez-vous il n’en fut pas toujours ainsi. Moi aussi j’ai eu mes coups de foudres adolescents, je fus comme beaucoup, amoureux transit ; mais j’ai très vite que compris que la passion n’apportait rien de bon, vous consumant de l’intérieur, véhiculant possessivité, jalousie et déni de soi. Je me suis brûlé les ailes, j’ai aimé à en pourrir la vie de l’élue tant j’étais jaloux comme un tigre. Je me suis oublié, ne vivant plus qu’à travers la relation. La passion amoureuse m’a rendu faible et vulnérable à maintes reprises, à tel point qu’aujourd’hui, je suis convaincu qu’on ne peut construire sur une relation passionnelle. Que dans son essence même, la passion est le contraire de la construction, dans le sens du couple. J’ai eu des relations fougueuses avec des amantes passionnées, mais autant je brulais pour ces filles, autant je savais qu’une vie en couple avec elles me rendraient fou. Mais je m’éloigne.

Après m’être retrouvé plus bas que terre trois fois, quelque chose s’est cassé en moi. Une pièce du radiateur a lâché... Et je suis devenu froid. Intouchable, insensible, claquemuré ; je me suis promis que plus jamais une fille ou qui que ce soit d’autre ne posséderait mon âme. Que plus jamais je n’appartiendrais à un autre être vivant. Que dorénavant je garderais le contrôle et ne penserais qu’à mon épanouissement en tant qu’individu, pas en tant que moitié vivant pour son autre moitié. En fait ce sont tous ces concepts catholiques qui ont foutu le bazar dans mon crâne. Toutes ces histoires d’amour exclusif, de fidélité, de recherche de sa moitié. Et une fois que vous l’avez trouvé, vous devez l’épouser, afin de vous appartenir mutuellement face à l’éternel. Face à l’Éternel ?! Quelle folie...

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Je me demande bien comment font ces millions de gens mariés et fidèles (de gré ou de force), pour être convaincus qu’ils ont trouvé leur bonne moitié. Il y a tant de possibilités, tant de personnes sur cette planète, comment pouvoir se dire qu’il n’y en a qu’une ?! Et surtout comment être certain d’être tombé sur le bon numéro ? Comment pouvoir se fermer le droit à la pulsion de la rencontre, le droit de liberté ? Les éminences catholiques elles aussi savaient que la passion n’est qu’un brûlot, alors, pour tempérer nos ardeurs d’êtres humains, l’Église a inventé cette histoire de moitié sans laquelle nous ne pouvons être complets, comblés. Et une fois ce concept introduit, le mariage a suivi. Du coup, si vous n’êtes pas de ces quatre vingt pour cent de la population occidentale qui pensent et vivent de la sorte, vous pouvez vite vous sentir comme une crapule. Un salaud qui trompe sa moitié, une espèce de monstre sans scrupules. Et pour un peu que vous soyez de nature à somatiser, à force de vous en convaincre, vous pourriez finir par le devenir. L’Église catholique a fabriqué des milliards de frustrés, d’êtres enfermés et d’âmes asservies. Elle a aussi fabriqué des exclus, dont je fais partie. Et pourtant, je fus baptisé peu après ma naissance, je porte le même prénom que l’Archange en chef. Mais Dieu m’a déçu, déchu.

Jusqu’à l’âge de mes onze ans, bien avant que toutes ces histoires de filles et de passion ne rentrent en compte, j’avais la foi. Transmise par ma grand-mère, qui m’emmenait prier et allumer des cierges et m’expliquait les notions de bien, de mal, la confesse et le péché. C’était une femme droite et vertueuse, un modèle de catholicisme. À mes yeux d’enfant, elle incarnait la perfection, la bonté et l’amour. Puis est venu le jour de sa mort... Lente et douloureuse... D’un cancer du sein, à une époque où cela ne se soignait point. À la fin, ma grand-mère hallucinait et discutait avec les moutons qui squattaient son plafond de chambre d’hôpital. À compter de ce jour, j’ai commencé à supplier Dieu. Tous les soirs dans mon lit, je priais pour qu’il épargne ma mamie. Je ne comprenais pas comment il pouvait autoriser qu’une de ses si fidèles servantes souffre un tel martyr, lui qui était soi-disant synonyme de pitié, de clémence et de compassion. Là aussi, lorsque ma grand-mère expira son dernier souffle, une pièce du radiateur lâcha. J’eus littéralement l’impression d’une trahison divine, d’une démission. Ainsi ai-je démissionné, moi aussi. Voilà sans doute pourquoi des années plus tard, je n’arriverais pas à me retrouver dans les repères relationnels qu’on tentait de nous inculquer, repères fortement inspirés par le christianisme et le catholicisme, ces deux doctrines qui avaient provoqué en moi tant de désillusions.

Ce fut là ma première auto-exclusion, le début d’un long processus d’auto-désociabilisation qui me conduirait jusqu’à ma vie d’aujourd’hui, celle d’un homme seul dont la vocation est de mettre fin à des existences. C’est chose dite : je ne prête allégeance à aucune religion. Ce ne sont là que des façons de contrôler l’esprit, de maîtriser subtilement le parc humain. Considérons un peu les modèles de vertu que nous présente les grandes croyances de ce monde. Nous avons régulièrement des exemples de fanatisme, d’abus en tous genres, et ce dans toutes les confessions sans distinctions. L’histoire regorge d’asservissements, de tortures et de guerres perpétués au nom de quelconques divinités. Il y a longtemps déjà que la religion est devenue un pouvoir, un levier, on pourrait presque dire un média. Je ne vais pas à l’église, de la même manière que je ne regarde pas les discours du président. Le discours du pape est à mon sens aussi illusoire et déconnecté du monde réel que l’est celui du président de la république. Aucun de ces deux zouaves n’a d’emprise directe sur moi, et d’ailleurs, nul n’en a.

Je n’eus donc aucun scrupule à supprimer le Père Terlizzi. Plus que l’absence de remords, je ressentis même un plaisir blasphématoire à liquider ce pseudo homme de foi. Car il n’y a pas pire que de prêter un serment pour ensuite agir en total désaccord avec ce dernier. Que ce soit le psy’ ou l’avocat qui viole le secret professionnel ou le médecin bafouant Hippocrate ; tous ces menteurs de haut vol m’exècrent. Et d’avantage encore lorsqu’il s’agit d’un prêtre donneur de leçons qui oublie tout de sa bible et se comporte de manière inhumaine. Quand on promet, on promet ! Jurer, c’est jurer ! Mais non... Il est dorénavant clair que dans ce monde on ne peut même plus se fier à un curé. Pour preuve, voici l’histoire du Père Terlizzi. Je passe sur son éducation religieuse, son parcours initiatique et ses déambulations monastiques, même s’il est vrai que le Père Terlizzi fut l’une des figures de sa génération, un de ces prêtres prometteurs en qui certains mentors avaient placé de sérieux espoirs. Il fut d’ailleurs à la hauteur des attentes de sa hiérarchie durant de nombreuses décennies, prêchant la bonne parole où on le lui demandait, politiquement correct et on ne peut plus soumis à la doctrine. Absolument rien d’un curé révolutionnaire voulant moderniser l’Église, tout le contraire ! Intégré et intègre ; « un homme à la foi de fer » disait-on de lui. Un croyant inébranlable. Lui-même n’aurait pas employé d’autres mots pour se décrire. Et c’est là l’unique point commun que j’ai avec cette crapule en soutane : personne n’aurait pu prédire notre revirement de trajectoire, pas même la plus douée des voyantes. Nous sommes tous deux ce que j’appelle des E.R.B, des Êtres aux Revirements Brutaux. Proches des cyclothymiques et des schizophrènes en bien des points, nous pouvons rapidement passer d’un extrême à l’autre. Mais-rassurez vous cette similitude ne pourrait m’empêcher de prendre la vie de ce faux apôtre.

 

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Cette mission me fut confiée par un des innombrables groupuscules dont regorge notre société : associations, lobbys, clubs, comités, fondations ; appelez-ça comme vous voulez, ce sont eux qui dirigent le monde, en coulisses, au dessus des polices, des républiques et des nations. Certains appellent ça « le Nouvel Ordre Mondial », un maillage complexe, un enchevêtrement de réseaux constitués d’entités puissantes et influentes et couvrant tous les domaines de notre monde, de la culture à la médecine en passant par l’industrie et… la religion. C’est que, l’Église est aujourd’hui une entreprise et se doit donc de demeurer rentable et irréprochable, pure et immaculée, quitte à faire appel à des mercenaires pour nettoyer les taches. Voilà ce qu’était devenu le père Terlizzi : une tache qui risquait fort de ternir la réputation internationale et humanitaire de l’Église si personne ne l’empêcher de nuire. « Le mal est déjà fait, mais l’homme n’a visiblement pas l’intention de cesser ses opérations crapuleuses » m’expliqua le moine en costard dépêché pour me recruter. « Nos remontrances hiérarchiques n’y font rien, et il est hélas temps d’agir avant que tout cela ne remonte aux oreilles du public ». Le public... Si vous saviez combien de meurtres j’ai commis pour maintenir le public dans l’ignorance. Combien de personnes j’ai réduit au silence pour « préserver » la plèbe. Tous les jours, pendant que Monsieur et Madame Tout-le-monde mènent leur vie tranquille, des gens se font refroidir pour des causes classées confidentielles. Ces pauvres victimes sont d’ailleurs souvent inconscientes du risque qu’elles représentent pour la sécurité du monde et de sa bonne rotation. Mais pas Terlizzi. Lui, était au fait de ses actes et de leur nature exécrable, en contradiction totale avec les engagements de sa confession.

Il avait définitivement dérapé, trop égaré pour que le Grand Berger se prenne la tête à le guider vers son troupeau. Ce dernier avait plutôt décidé d’envoyer la brebis galeuse à l’abattoir, et j’allais faire office de hachoir. L’année charnière du Père fut 1993. Deux ans après le début de la guerre civile, il fut dépêché en Sierra-Leone afin de mettre en place un dispensaire destiné aux victimes du conflit, aux enfants plus particulièrement. Les moyens manquaient cruellement sur place et le bilan s’aggravait lourdement de semaines en semaines. Les Nations-Unies se décidèrent donc à intervenir, assistées par une église désireuse de racheter son image sur ce continent. Outre les victimes directes des affrontements, petits corps criblés de balles ; il y avait aussi les dommages collatéraux, sujets à la famine et au manque d’eau potable, à la dysenterie, pneumonie et autre dramatiques greffons. C’est la mission de ma vie, pensa Terlizzi lorsque ses supérieurs lui soumirent le projet. Jamais il n’avait eu l’occasion d’être aussi utile. Ses objectifs seraient de soigner les enfants et de les dissuader de devenir à leur tour des soldats ne pensant qu’à venger la mort de leur famille. Noble tâche s’il en est ; mais Terlizzi se perdit en chemin, attiré telle une pie voleuse par tout ce qui brille. Et il se trouve qu’en Sierra-Leone, les seules choses qui scintillent plus que les cartouches de fusil mitrailleur sont les diamants.

Une richesse nationale qui n’appartenait plus au pays depuis fort longtemps, passée aux mains de grandes compagnies régentées par des juifs ou des allemands, parfois les deux. Ce furent d’ailleurs ces derniers qui furent le plus insistant et qui au bout de deux ans, parvinrent à acheter la foi de ma cible. Tout homme a un prix et une limite de patience ; une somme et un seuil au delà desquels il ne résiste plus à la tentation de l’argent. Il fallut à la De Baer deux ans et cinq millions pour avoir raison des réticences du Père Terlizzi. La De Baer Company, fleuron de l’industrie diamantifère, un cartel dont la spécialité est de spéculer et de s’emparer de richesses naturelles. Allemande de naissance, cette société rayonnait à présent dans le monde entier, surfant sur les conflits, profitant de l’instabilité économique qu’ils engendrent pour rafler tout ce qui peut l’être. Le genre de boite qui n’hésite pas à employer des types comme moi. Ainsi, en arrivant sur le territoire Sierra-Léonais, je fus un peu plus méfiant qu’à mon habitude. Il s’agissait là d’une affaire impliquant de fortes sommes et aux yeux de la De Baer, l’homme que je venais tuer n’était rien de moins qu’une poule aux œufs d’or. Le Père Terlizzi leur fournissaient en effet des mules de premier choix. J’explique.

Le conflit rendant plus délicat l’exportation de diamants, la compagnie cherchait de nouveaux moyens d’acheminer les pierres de guerre hors des frontières. Outre leurs mercenaires habituels, les dirigeants crapuleux décidèrent d’utiliser la filière de l’humanitaire. Il leur fallait trouver des appuis au sein d’ONG, corrompre des idéalistes. Ils eurent alors l’idée lumineuse d’utiliser la sacro-sainte couverture de l’Église, et après quelques semaines de recherche, ils trouvèrent Terlizzi. Comme je vous l’ai dit précédemment, il ne céda pas immédiatement. Mais à 62 ans, l’homme était plus que démuni et ses convictions plièrent. Et puis tout ce sang et ces horreurs qu’ils avaient vues depuis son arrivée ici l’avaient dégoûté, désespéré de l’espèce humaine... Son combat lui paraissait vain. Lui qui avait consacré toute sa vie à l’Église était depuis trop longtemps dans le besoin et ses vœux monastiques volèrent en éclat face aux alléchantes propositions de la De Baer. En 1996, il commença donc à les aider dans leurs exportations illégales de pierres, utilisant les enfants blessés comme mules. Avant de les remplir telles de vulgaires sacoches, on leur administrait un puissant sédatif lors du repas ou de leur prise du médicament du soir, puis ne restait plus qu’à attendre qu’ils ne sombrent dans les bras de Morphée.

Le reste de la manœuvre se déroulait dans les profondeurs du dispensaire, dans l’aile la plus isolée du sous-sol. Initialement prévue pour être la buanderie, le lieu fut réaménagé et cadenassé pour les besoins de la nouvelle mission du père Terlizzi. L’endroit prenait des airs d’hôpital de fortune. Le stérilisateur aurait lui même bien eu besoin d’être stérilisé et la table chromée sur laquelle on allongeait les jeunes victimes avait déjà bien vécu. Piquées par les ages, ses roues grinçaient dans un petit bruit strident et les lanières de contention en cuir qui l’ornaient elles aussi n’avaient pas échappé à l’emprise du temps. C’est que la De Baer Company avait pour habitude d’amortir le moindre de ses investissements... Une nuit alors que tout le village était endormi, des sbires de l’entreprise arrivèrent dans leur van à l’allure fédérale puis déchargèrent leur matériel plus ou moins à l’abri des regards. Pas tranquille, Terlizzi se tenait au seuil de la mission tentant de les couvrir tandis qu’ils charriaient leur foutoir. Dans sa tête, il avait déjà préparé une explication si jamais quelconque badaud venait à les apercevoir, mais qui aurait bien pu le croire ? Depuis quand la Croix-Rouge amenait-elle du matériel si tard, et depuis quand son personnel vêtu de noir avait des allures de commando ?

Dans le contrat tacite que le Père Terlizzi passa avec la De Baer, une close stipulait qu’un agent de l’entreprise devait être logé sur place, pour procéder au remplissage des enfants, veiller à ce que personne ne se doute de rien, et dans le cas contraire, veiller à ce que le doute soit étouffé au plus vite. Mais pour qu’une personne puisse être logée au sein de la mission, il n’y avait que deux options : être une jeune victime de guerre, ou faire partie des ordres religieux. Une fois de plus, le prêtre du sévèrement bafouer la confiance que son église avait placé en lui en offrant une couverture religieuse à un vulgaire mercenaire. Moins d’une semaine après la livraison nocturne, un nouveau curé officiait au dispensaire.

Ce ne fut que lorsqu’il toucha ses premiers dividendes que le père Terlizzi commença à se détendre. Quand ses bas de laine commencèrent à enfler d’argent sale et qu’il put dire adieu à sa vie de privation. Mais il ne voyait pas l’envers de la médaille, sa tâche s’arrêtant lorsqu’il administrait les somnifères aux enfants choisis. Il n’était pas autorisé à assister au remplissage des mules ; ce travail incombait au nouveau prêtre made in De Baer. Spécialiste en la matière, l’homme était parfaitement rompu à tous les trafics de guerre, armes ou pierres. Certes les conditions d’hygiène était loin d’être optimales, mais le mercenaire remplissait les jeunes en se souciant de ne pas leur faire trop de mal, bien que sachant que le dénouement de l’histoire leur serait souvent fatal. Peut-être le fait de vivre à leur coté avait-il éveillé en lui un soupçon d’humanité, car il n’en était pas de même avec ceux qui réceptionnaient les petits transporteurs. Comparés au Remplisseur, eux étaient sans cœur. Après plusieurs heures d’avions de fret, les enfants atterrissaient, affamés et totalement inconscients de la valeur contenue dans leur petit corps ; c’était là le cas de le dire, chacun valait désormais son pesant de diamants. Quatre camionnettes aux vitres teintées les récupéraient sur le tarmac et le convoi prenait la route de La Villa, lieu paradisiaque, où les jeunes martyrs connaîtraient quelques jours de quiétude avant de partir. Une fois installés dans leur dortoir, on leur servait un repas copieux au sein duquel on avait mélangé une substance laxative, puis ne restait qu’à attendre qu’opère le transit intestinal. Repus, les enfant pouvaient vaquer dans la demeure et son vaste jardin truffés de jeux de plein-air, jouer à la console vidéo dans la salle d’amusement... Ceux dont la digestion était plus longue avaient la chance de voir un lever de soleil en plus, et de manger un sublime petit déjeuner... Mais pas deux.

La cargaison qu’ils avaient charriée dans leurs entrailles était attendue, son parcours organisé à la minute prés, et ceux qui n’avaient pas déféqué la marchandise à la fin du deuxième jour à la villa étaient tout simplement éventrés. Et qu’on leur administre subtilement un poison avant de les éviscérer n’atténuait en rien l’horreur du procédé. Jusqu’à la dernière minute, ces minots pensaient en avoir fini avec les atrocités et pouvoir enfin goûter au confort et à la tranquillité. Ce n’est que lorsqu’ils manifestaient leur envie de se rendre aux toilettes que l’ambiance vrillait.
- « Petite ou grosse commission ? », leur demandait-on. Si la réponse était « grosse », l’enfant était alors empoigné sans délicatesse et conduit dans une pièce décrépie où trônaient des toilettes sèches, dans une cabine. La pourriture de l’endroit contrastait tant avec tout le reste de la Villa, ce que le môme ne comprenait pas.
- « Allez va », leur disait-on souvent en les poussant légèrement vers les sordides toilettes. Parfois certains s’inquiétaient de ne pas voir de papier toilette autour du trône mais on leur répondait de ne pas s’en soucier, qu’ils n’en auraient guère besoin. Juste derrière la paroi de ces chiottes si particuliers se tenait l’agent de la De Baer qui avait le rôle le plus ingrat, celui de fouiller la matière fécale. La De Baer connaissait avec précision le nombre et le poids de diamants contenus par chaque enfant et à la seconde où ce fouille-merde se manifestait pour dire que tout était livré, l’enfant cessait de respirer. Voilà ce que je raconterai au Père Terlizzi avant de l’assassiner, qu’il ait pleinement conscience de ce à quoi il avait participé, qu’il visualise parfaitement la destinée tragique qu’il avait tracée à ces mômes qu’il était censé aider...

 

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La Sierra Léone. Lorsque mon boulot m’amène à voyager, ce n’est bizarrement jamais pour une destination que j’aurais moi même choisie à des fins de détente, comme si l’utile et l’agréable ne parvenaient pas à une entente, comme si M. Mort ne pouvait mêler boulot et plaisir sans passer pour un dilettante... Toujours est-il, je n’ai jamais le droit au farniente ni au tourisme exotique. Lorsque je quitte mon pays, c’est souvent pour un autre rongé par une guerre civile menée par une escouade psychotique. Je vais là où les mouches à merde sont, c’est aussi simple que ça. Là où les carnassier ont flairé que le malheur d’un peuple peut leur assurer un bon repas. Exit Tahiti et autres îles paradisiaques, pour M. Mort ce sera plutôt expédition à Machette-Rwanda ou Enfer-Bosniaque. Donc la Sierra Léone ? Juste un tragique voyage de plus. Histoire de quand même faire le touriste, de partager un peu la vie de ce peuple, je décidais de me déplacer en bus, ignorant les nombreux pseudo chauffeurs qui pour m’embarquer étaient presque prêts à me lécher l’anus.

Selon mes us, j’avais pensé à une façon originale de supprimer le prêtre, un châtiment à la hauteur de sa faute, mais sur ce coup-ci je n’eus pas trop à me creuser la tête et décidais d’appliquer le vieil adage « œil pour œil, dent pour dent ». Terlizzi périrait simplement par le même procédé que celui qui l’avait enrichi. Mais cela fut plus facile à dire qu’à faire, car avant de pouvoir punir le Père, je dus d’abord me charger du mercenaire. Je m’étais donc informé sur le bonhomme, découvrant qu’il s’agissait là de quelqu’un de ma classe, de ceux pour qui la mort est une science. De ceux avec qu’il ne faut pas se louper, car il ne laisse pas de seconde chance. Les mots d’ordre de cette opération seraient prudence, patience et observation. Je ne pouvais pas débarquer dans le dispensaire et ouvrir le feu comme un kamikaze, c’était indigne de mon rang et j’aurais pu malencontreusement blesser des enfants. Certes cela m’aurait simplifier la tâche, mitrailler tout ce qui bouge ou faire sauter l’endroit pendant la nuit, me débarrassant ainsi en une seule fois de mes deux proies. Mais je ne pouvais raisonnablement pas faire ça et optais donc pour la patience.

En mode espion furtif, je pris le temps de voir comment se déroulait une semaine au dispensaire, cernant les habitudes du Remplisseur en même temps que celles du Père. J’avais disposé un peu de mon matériel de surveillance autour du lieu, trois mini-caméras, quelques micros, un traceur sur le véhicule de fonction de la mission, j’avais même soudoyé un minot des rues pour aller coller quelques mouchards à l’intérieur. Le gamin aux dents longues ne fut pas dur à corrompre, et le fait qu’il n’ait plus de langue me rassura quant au fait qu’il garde ou non le silence. Mais jamais assez prudent, je lui précisais néanmoins que si l’envie lui venait de moucharder grâce à un quelconque langage des signes, ce serait la dernière fois qu’il utiliserait ses mains. Je ne suis pas tout à fait sûr que le môme comprit un traître mot de mon anglais, mais le ton que j’avais mis dans cette phrase et le regard avec lequel je le transperçais en enserrant légèrement son poignet parlaient d’eux même. Ainsi puis-je tout apprendre du comportement de mes deux cibles sans bouger de ma chambre d’hôtel. Mais plus que pour des raisons liées au confort, il en allait de ma sécurité. Le village où je me trouvais était en effet le genre d’endroit où toute filature discrète est impensable, surtout si vous êtes un grand blanc d’un mètre quatre vingt dix. En quelques minutes la population locale m’aurait remarqué et le dispensaire du Père Terlizzi étant un des éléments centraux de cette commune, il n’aurait guère fallut bien longtemps pour que le mercenaire fut mis au courant de la présence d’un grand occidental qui semblait le surveiller.

Par chance, l’agent de la De Baer était un solitaire, le genre de gaillard qui a besoin d’espace vital et d’intimité. Lui et le Père Terlizzi avait deux vies totalement différentes aussi bien au niveau de leurs occupations que de leurs horaires ; les deux types ne se fréquentaient pas et cela m’arrangeait. Je pourrais ainsi supprimer le premier sans éveiller les soupçons du deuxième. Pour ce faire, j’attendis qu’il parte pour une de ses balades hebdomadaires dans les collines qui se tenaient à moins de 20 kilomètres de là. Le jour où je m’aperçus que les promenades du mercenaire étaient régulières, je décidais que c’était lors d’une d’entre elles que nous allions croiser le fer. Loin de toute habitation et de tout témoin oculaire. Il me fallait donc un trouver un véhicule pour le suivre et là encore, sans éveiller les suspicions locales. L’acquisition d’une voiture fut bien plus dure que de soudoyer le môme des rues car ici, les véhicules motorisés n’étaient pas monnaie courante, que cela soit à la location ou à la vente. Il me fallut ni plus ni moins que deux jours et un périple de pas loin de cent kilomètres pour trouver le carrosse qui allait me permettre de refroidir le collègue du prêtre. Une espèce de Méhari brinquebalante aux pièces cliquetantes, peinant dans les montées et s’affolant dans les descentes et dont je devins l’heureux propriétaire pour quelques poignées de pièces trébuchantes.

La veille de mon action, je revenais au village à l’heure où les autochtones prenaient leur repas du soir, garais le véhicule dans l’endroit le plus retranché que je trouvais puis regagnais la chambre que j’avais annexée en poste de surveillance. Le lendemain, alors que mon réveil indiquait le début de la quinzième heure, le faux curé vêtu de sa soutane de mascarade passa pour la dernière fois le seuil de la mission et parti pour son ultime escapade. Dix minutes après lui, je quittais paisiblement le village, suivant assidûment le petit point rouge qui avançait lentement sur mon écran de guidage. La 4L du dispensaire se traînait sur les routes chaotiques du secteur et j’eus beaucoup de mal à conserver le kilomètre de distance qui me séparait du remplisseur. Par moment je dus même m’arrêter car sur ces longues routes plates, le moindre reflet du soleil sur votre pare brise peut griller votre filature plus sûrement qu’un pneu qui éclate. Or, mon unique avantage sur ce type étant assurément la surprise, hors de question que je me la court-circuite à cause d’un rayon qui irise. Si lui et moi nous retrouvions à lutter au corps à corps, mon opinion quant à l’issue du combat serait en effet plus qu’indécise. Car sans me sous-estimer, je sais reconnaître lorsqu’un adversaire est fort, et celui-ci maîtrisant parfaitement les arts-martiaux et leurs combos de prises, j’allais éviter l’empoignade avec Mr Commando. Quitte à lui tirer dans le dos, et au diable les accusations de traîtrise, après tout mon contrat n’était pas sur cet homme, rien ne m’obligeait à la noblesse, d’autant que j’étais déjà loin du délai optimum : une semaine d’observation, deux jours pour dénicher une bagnole, je ne pouvais pas me permettre de traîner sur le meurtre de ce mariole.

L’endroit où me conduisit le faux prêtre avait quelque chose de lunaire. Après des kilomètres d’un aride désert sans relief, voilà que surgissait du sol une chaîne de trois collines à l’aspect mammaire. L’endroit était singulier mais austère et je me demandais pourquoi l’homme venait si loin. Il y avait bien plus prés du village et surtout bien plus beau à contempler, mais je comprendrais bientôt ce qui motivait le mercenaire à venir en terre si reculée. Totalement inconscient de ma filature, l’homme quitta son véhicule après en avoir tiré un sac à dos et un galure qu’il ficha sur son visage de raclure. Puis, il s’engouffra dans l’esquisse de sentier qui serpentait entre les rares épineux et les caillasses qui servaient de repères aux vénéneux. Mais sa démarche n’était pas du tout celle d’un promeneur venu profiter de la nature. Sa randonnée avait un objectif, cela se déduisait à l’impact de ses pas et à son allure. Et plus nous nous enfoncions dans les méandres de la petite chaîne de collines, plus le type pressait le pas, comme impatient d’arriver à destination. Étant donné que je le surplombais, je pus deviner quel était son point de chute avant même qu’il l’ait atteint. Une antique porte métallique, à flanc de la plus grosse des trois protubérances rocheuses, légèrement dissimulée par quelques rochers saillants qui lui faisaient auvent. La porte avait vécu et n’était pas de toute jeunesse mais restait à n’en point douter aussi imprenable que la meilleur des forteresses.

Il s’agissait là d’un abri antiatomique ou de quelque chose du genre, peut-être l’ancien repère d’un des dictateurs ayant sévi dans ce pauvre pays. Toujours est-il que l’homme avait la clé pour activer le tourniquet qui y faisait office de poignée. Les muscles de ses bras saillirent lorsqu’il fit pivoter le massif battant dans ses gonds inoxydables, grinçant leur soif de lubrifiant à qui voulait bien l’entendre. Je sentais que cette affaire déjà sordide promettait de l’être encore plus, que l’homme ne venait pas ici pour faire de la spéléologie ; que nenni ! Ça sentait plutôt le horrible hobby. La perversion de changer ces minots en mules ne suffisait peut-être pas à assouvir les pulsions du sbire, qui pénètre l’espèce de grotte en refermant le battant mais sans le claquer totalement. Deux options : soit ma filature a été efficace et il n’a pas capté que le suivais à la trace, soit il me tente afin de m’attraper dans sa nasse. Je pénètre donc les lieux avec la plus grande prudence, le visage couvert des lunettes thermique que j’avais dégotées lors d’une de mes escapades en Amérique.

L’endroit est sombre et suintant, le plafond largue de fraîches gouttes sur le sol terreux et les murs ruissellent, gorgeant des traverses de bois censées consolider le corridor souterrain. L’air y est moite et si épais que dans un premier temps, je n’entend rien d’autre que le goutte à goutte. Ploc, ploc, ploc... Deux pas de plus dans l’obscur couloir, et une pièce se dessine, éclairée par le faible halo d’une lampe à pétrole. Aux aguets, je tire lentement ma lame de son fourreau tandis que mon autre main s’empare du 9mm, et que mes yeux découvrent l’horrible : sur une vieille table de bois sillonnée par les âges, un corps d’enfant est allongé, dénudé et totalement inanimé ; aucun souffle ne remue plus la jeune poitrine. Ses deux mains pendouillent de chaque côté de la table alors que le sbire de la De Baer, commence à baisser la fermeture éclair de son pantalon. Il m’arrive bien souvent de me dire que je suis fou, malsain et dangereux pour la société, mais la vie me rappelle parfois que je suis loin d’être le pire des tordus. S’en prendre à un enfant de quelques manières que ce soit est à mon sens impardonnable, or nous étions là dans le pire des châtiments. Non content d’avoir tué ce gamin -car nul doute qu’il n’était pas décédé naturellement- voilà que l’allemand continuait à le bafouer même après la mort, souillant son corps sans âme, interdisant le repos éternel à sa victime. C’était un geste humanitaire que de mettre ce monstre en abîme, et je ne pus me résoudre à lui laisser le temps de se déshabiller totalement. J’attendais juste qu’il quitte une jambe de son pantalon, et lorsque j’attaquais il se trouvait en équilibre sur une patte, le caleçon gonflé par un désir morbide. Fort de mon effet de surprise et de sa position inconfortable, je le désarçonnais aisément tout en lui enfonçant ma lame dans le bide. Engoncé dans son futal, le mercenaire-nécrophile glisse au sol dans un râle de douleur, que je me dois d’abréger avant qu’il ne reprenne de la vigueur. Sautant à califourchon sur lui, je relève sèchement son menton, et tranche sa gorge révélée. Une giclée de son sang m’asperge, nne série de spasmes le secoue, et quelques secondes plus tard... Arrêt total du pouls, relâchement de sa verge. Et quelque chose me dit que personne en sa mémoire ne brûlerait le moindre cierge. Toujours est-il que maintenant que j’avais réglé son compte à cette cible collatérale, j’étais tranquille pour me concentrer sur mon mandat, mon objectif principal. Le Père Terlizzi... J’allais enfin pouvoir prendre un peu de plaisir par ici. Certes je n’avais pas eu à me creuser bien longtemps pour imaginer son assassinat, me contentant d’appliquer cet adage que j’aimais tant : « œil pour œil, dent pour dent ».

Dans cette affaire, j’aimais à me voir comme le bras vengeur de tous ces enfants mules, martyrs du trafic de diamants. Lui, qui avait couvert l’abject gavage de centaines de mômes, allait subir exactement le même supplice, sauf que je n’utiliserais aucune pierre précieuse pour côtoyer ses appendices. Du bête gravier suffirait, poussiéreux et de préférence nappé de la pisse d’un chien atteint de syphilis. Pour l’éventration salvatrice j’hésitais encore... Mais avant d’évoquer le fait de l’ouvrir, je devais déjà m’emparer de son corps. Pour se faire je choisis l’aurore, celle du jour suivant. Juste avant le levant, avant même que Terlizzi puisse s’inquiéter de l’absence du pédo-nécrophile. Le petit village Sierra-Léonais sommeillait encore et seuls quelques chiens vagabonds au poil rêche me toisèrent du regard tandis que j’approchais de l’église de pacotille. Je m’attendais à devoir forcer une serrure ou utiliser un quelconque moyen d’effraction afin de débusquer un ecclésiastique encore endormi dans son lit, mais il n’en fût pas ainsi. La porte principale de l’église n’était ni verrouillée ni cadenassée, et lorsque je poussais son chambranle quelle ne fut pas ma surprise en trouvant le Père Terlizzi recueilli devant l’hôtel, agenouillé et chuchotant. Malgré mon entrée sans discrétion, l’homme ne bougea guère, ce qui signifiait qu’il avait soit l’habitude que certains de ses ouailles soient matinaux, soit qu’il était trop absorbé par ses suppliques pour m’entendre. La culpabilité peut-être.... Progressant entre les bancs, j’avançais lentement vers lui, tenant en main ce petit étui en cuir que j’aime tant. Il avait transporté tant d’aiguilles et de poisons différents, m’avait servi en tant d’endroits, aux quatre coins du monde...

Je réalisais à cet instant que cet étui et cette seringue étaient ni plus ni moins que mes plus vieux acolytes, avant même ma lame en titane haute sécurité et mes gadgets à la James Bond.

Quand je la sortis de son carcan, le prêtre se retourna dans ma direction, l’attention sans doute attirée par le bruit de la fermeture éclair. Mais agenouillé, à un mètre de moi, il n’y avait plus rien qu’il puisse faire... « Too Late Father », dis-je en empoignant fermement son crâne avant de le pencher brutalement et d’enfoncer l’aiguille dans sa gorge. En moins d’une minute le mélange de morphine et kétamine fit son effet et Terlizzi vacilla dans l’inconscience. Il allait maintenant pouvoir goûter à ma science et mon amour du bricolage. Je lui avais fabriqué un de mes engins fait de bric et de broc, genre de silo à gravier automatisé qui l’emplirait de caillasse jusqu’à la mort, mais en ayant tout de même le temps d’en caguer un peu dan son pantalon. Je ne pouvais me résoudre à le gaver d’un trait à l’aide d’un entonnoir, cela serait certes douloureux mais n’aurait aucune commune mesure avec ses exactions et son silence acheté par la De Baer. Ce fils de Dieu qui avait vendu son âme au diable méritait le purgatoire. J’avais ramassé trois kilos de cailloux, quantité suffisante à mon goût pour l’accompagner jusqu’au bout. Je désirais qu’il hurle, qu’il pleure de gêne et de douleur en sentant le gravier parcourir son tronc, qu’il sente son estomac tenter vainement d’enclencher un processus de digestion, qu’il souffre jusqu’à avoir l’impression d’être totalement constitué de gravillon. Il me fallait un endroit calme car nul doute qu’il s’époumonerait, hélant qui voudra bien l’entendre et ce aussi longtemps qu’il le pourrait. J’optais donc pour la grotte où son acolyte baisait des cadavres, havre de paix où il aurait tout à loisir d’exprimer ses sensations. C’est là même qu’il se réveilla de son petit roupillon, allongé et sanglé sur la table de l’ignoble.

« Bonjour Père Terlizzi », commençais-je dés son deuxième clignement de paupière. « Je suis celui que le Père du Christ à envoyé pour te rappeler à l’ordre ». Comme je l’avais vu faire des dizaines de fois auparavant, ma victime se trémoussa et balbutia dans l’épaisseur de son bâillon. « Ne t’en fais pas », le rassurais-je. « Tu auras la bouche libre d’ici peu et tu auras même l’occasion de t’en servir, mais laisse moi finir d’abord, petit homme de foi que tu es. Tu as dévié du droit chemin aussi loin que possible, et je ne parle pas là de petits écarts de chair. Tu as commis les pires péchés, tu as causer la mort de ton prochain par appât du gain, bafouant le suprême commandement, qui stipule que tu ne tueras point ». Je lui avais rédigé une vraie prière mortuaire, et je me trouvais d’ailleurs assez bon orateur tandis que les yeux du curé balayaient le secteur jusqu’à se figer sur le corps sans vie du mercenaire. « Et oui, lui aussi... Mais restons concentré sur ta personne tu veux bien ? N’arrives-tu donc plus à te contenter de pain et de vin ? Par tes actes odieux, tu as cessé de faire parti des fils de Dieu. Ce dernier a pris une grave décision, et elle est hélas irrévocable : Père Terlizzi, pour toi l’aventure s’arrête ici ! ». J’adorais cette chute tirée de Koh-Lanta. Gentiment, je lui ôtais le bâillon et le laissait respirer un peu d’air libre, qu’il se rende bien compte du luxe. C’étaient là les dernières bouffées d’oxygène exemptes de cailloux qu’il inhalerait.

D’ici peu, son enveloppe charnelle ne serait plus qu’un container à pierres, ce qu’il comprit en un éclair lorsque je fis rouler jusqu’à lui mon silo-maison. « Voici l’appareil qui va vous gaver mon Père », précisais-je en glissant le dévidoir dans sa bouche. « Sauf que vous ne méritez pas de diamants, vous devrez vous contentez de graviers ». Je ne lui octroyait pas le loisir de prier Jésus ou Maria par un Avé, activant le moteur de ma création et baissant le fatidique levier. Le mécanisme ne faillit pas et son supplice débuta mais je ne pris pas le temps de le voir passer à trépas. Le temps imparti à cette homme de peu de foi s’était écoulé, il y avait ici bas d’autres honneurs à laver, d’autres forcenés à braver et tortionnaires à entraver. Je quittais la pièce, laissant ma machine faire seule la fin du travail. Ceux qui trouveraient son corps auraient ainsi tout à loisir d’apprécier l’originalité de ma trouvaille...

 

 

 

 


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5 commentaires sur “Le Journal de M. Mort : « Diamants »

  1. Super nouvelle, c'est captivant. La seule critique que je ferais c'est sur la mise en page, ça aurait pu être plus facile à lire si cela avait été sur plusieurs pages. En tout cas y a toujours du bon sur U.R !!!

    • Je me suis posé la question justement en mettant en page le premier volet sur le blog, mais j'ai fait au plus simple côté éditeur et puis c'est resté, personne ne s'étant plaint de cette mise en page jusqu'à aujourd'hui. :) La seule demande c'était de proposer un lien pour télécharger les textes en format "tablette-friendly", j'ai installé une option automatisée (avec un rendu un peu aléatoire avec les images, mais qui fourni un texte lisible). Je suis pas sûr que pagination + téléchargement soient possibles dans la config' actuelle du blog.

      Merci pour la remarque en tout cas, je vais probablement faire une refonte du site cet été, je garde ça dans un coin de la tête !

      Rigolitch/UR

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