Bien le bonjour, gentes dames-oiselles et gents dames-oiseaux. C’est dans une période délétère aux débats cathartiques et hautement destructeurs que je rédige cette chronique. Quasiment un an après la dernière me rends-je compte !
De nos jours, tout le monde se sent chaud-bouillant de faire profiter ses condisciples de ses réflexions politiques personnelles, en particulier sur les réseaux sociaux qui ont remplacé, avec pertes et fracas de « p’tits blanc-pêche », les bonnes vieilles discussions de comptoir. Alors avec ma modération et ma retenue aussi connues que légendaires, je ne vais pas me gêner.
Vous voulez savoir ? J’en ai un peu ras-le derche de me faire traiter de facho, de salaud, de crétin, d’irresponsable, de bobo, de mâle blanc trop peu au fait de ses privilèges, et je passe des noms de volatiles, tout ça parce que j’hésite à mettre un bulletin couleur macaron dans l’urne dimanche prochain. Je trouve l’ambiance bien arrogante et moralisatrice et ça me débecte un peu.
Quoi ? Vous trouvez facile, vous, après avoir chié sur la tête d’un type pendant 2 ans, après avoir déféqué sur ce qu’il représente depuis que j’en ai 15, du jour au lendemain, de me dire avec un grand sourire que je vais devoir ravaler tout ce caca et venir lui lécher les belbes ?
Vous avez peut-être fait votre choix et grand bien vous fasse, mais arrêtez donc de penser que votre opinion et la seule et inaltérable vérité.
Dans une pensée manichéenne, on nous demande de choisir entre le mal absolu et le mal qui engendre le mal absolu… Vous paraît-il si inconcevable qu’à défaut de ne pouvoir faire le bien, l’on préfère ne rien faire ? ou plutôt que l’on souhaite exprimer son désaccord total ?
Le fascisme est l’enfant pourri du libéralisme. Les causes de l’un sont les conséquences de l’autre. La misère, les inégalités, l’injustice, le monde à deux vitesses, la stigmatisation des minorités, ce sont les fruits pourris du libéralisme et tout cela engendre les idées nauséabondes sur lesquelles prospère l’extrême-droite.
Et j’entends « Où est la France du 22 avril 2002 qui descendait spontanément dans la rue, offusquée et fière ? »
Ben…
On lui rabat les oreilles depuis six mois sur le résultat inéluctable du premier tour de cette élection et sur la présence du effehène au second tour. Excusez-la donc de ne pas se précipiter dans la rue sous le coup de la surprise et de l’indignation.
Elle a voté pour Chirac. Elle a pensé, ou plutôt espéré, qu’on allait peut-être mettre en œuvre ce qui était nécessaire pour que ça n’arrive plus, et p’is… elle a vite déchanté. Alors elle s’est dit : « Nan, mais plus jamais on m’y reprendra. »
Et j’entends « pensez-vous à l’histoire ? 1933 ?! Hitler au pouvoir !! ». Houlà c’est horrible. Un petit point Godwin vous est attribué, en passant. Oui j’y pense, et je ne souhaite pour rien au monde qu’Adolphine nous rejoue la boucle historique. Mais tiens, en s’intéressant à l’Histoire – oui celle avec un grand Hachetague –, je me demande bien ce qui a pu permettre à ce démagogue d’obtenir le pouvoir ? Qu’a-t-il bien pu se passer pour que ses idées prospèrent ? Oh, une crise ? une crise financière ayant eu lieu quatre ans plus tôt un certain jeudi fuligineux de 1929. Flûte, je me demande bien ce qui l’a provoquée, cette crise. Ah oui, sans aucun doute les abstentionnistes…
Oui, j’ai bien conscience que Marine, et Emmanuel, ce n’est pas la même chose ; oui, il m’apparaît plus facile de lutter contre le diable que l’on connaît que contre la bête immonde qui se tapit au coin du futur et qui hante notre passé. Cela dit, laissez-nous donc le crédit de penser qu’en soutenant le premier, nous ne faisons qu’engendrer la seconde.
Vous m’enjoignez à voter contre, à faire barrage, à faire front contre le front. Mais comment, une fois les bulletins aussi dépouillés que mon amour propre, va-t-on distinguer ces votes-là de ceux qui cautionnent, de ceux qui soutiennent ?
Dois-je le marquer dessus ?
« Je vote macron, mais en fait pas vraiment, parce que son programme, ben, je pense que c’est quand même pas ça qui va à la fois réduire les inégalités et permettre aux gens de se détacher des idéologies nauséabondes véhiculées par le fn et consorts… »
ah ben non, gros bêta… Ça va être compté comme nul. Ce serait ballot. Je deviendrais directement un irresponsable crétino-gaucho fascisant.
Comment puis-je mandater cette personne à devenir notre président et descendre demain protester dans la rue en toute légitimité quand il nous pondra les lois « Macron 2 », puis « Travaille et crève » ?
Ne vous inquiétez pas qu’on nous ressortira que nous n’en avons aucune, de légitimité, au regard des élections qui l’auront placé là avec un score qu’aurait envié Hosni Moubarak. Soyez certains qu’en aucun cas sa politique ne prendra en compte le vote « contre ».
Sachez aussi qu’une bonne partie d’entre nous seront parmi les premiers, quelque-soit l’une ou l’autre dans son beau costume barré de sa putain d’écharpe tricolore, à envahir la rue pour protester contre les lois de bouse qu’ils nous concocteront ; Ce sont eux dans les associations, les syndicats et les partis qui luttent à la fois contre les idées fascistes et contre la libéralisation de la société.
Et puis merde, n’avez-vous pas l’impression qu’en nous disant « Votez comme moi ou vous n’avez rien compris, votez Macron, sinon l’apocalypse. Voter Charybde car Scylla n’est pas loin... N’avez-vous donc pas l’impression justement d’exercer un déni de démocratie ? Celui d’affirmer qu’il n’y a qu’un seul vote possible ?
Dites-vous bien d’ailleurs que si, par malheur, c’est la marine qui passe au second tour, ce ne sera pas la faute des abstentionnistes et ce sera encore moins celle de ceux qui auront voté blanc. Ce sera la responsabilité de 7,6 myons de personnes qui ont voté pour elle à ce premier tour, ce sera celle de tous ceux qui le feront au second tour, ce sera celle de Macron de ne pas avoir su rassembler autour d’un « PROJEEEET » qui nous englobe toutes et tous, nous et notre environnement. Ce sera la faute de tous les gouvernements qui se sont succédés depuis a minima ces quinze dernières années, alors même que l’on avait été prévenu ce fameux jour d’avril 2002.
Ne vous trompez pas d’ennemi : prenez vous en à eux, plutôt qu’à ceux qui usent de leur droit démocratique – y compris celui de ne pas voter – comme ils l’entendent.
Arrêtez donc d’insulter les gens de gauche qui pensent s’abstenir ou voter blanc et de les faire passer pour les immondes crapules qu’ils ne sont décidément pas. Surtout que comme argumentaire de persuasion, on a vu un peu mieux. Vous savez pourtant très bien qu’en insistant sur le fait que des gens sont des crétins de penser ce qu’ils pensent, vous les mettez en porte-à-faux, sur la défensive, et vous les enjoignez de fait à le penser encore plus fort. On appelle ça un biais cognitif de renforcement. Argumentez, convainquez, persuadez… ne fustigez pas.
Saikuheffedé.
Alors oui, le chemin vers l’enfer est pavé de bonnes intentions.
… Elle est marrante cette expression, non ? Parce que selon votre affinité, vous pouvez la comprendre comme bon vous semble. Elle fonctionne dans les deux sens :
Voter blanc, c’est la bonne intention qui est celle de ne pas encourager le mal. Et ce faisant, on laisse les diablotins poser leurs pierres sur la route en sifflotant.
Voter Macron, c’est la bonne intention qui vise à éviter Le Pen maintenant. Et ce sont quelques bons gros pavés sur le chemin qui renforceront les idées d’extrême-droite pour les prochaines élections.
Coriace dilemme, hein ?
Arrêtons-là, le suspense. J’entends déjà les murmures agacés du fond : « Il nous dit quoi le gros con, là ? C’est quoi son choix à cet énergumène ? Il va encore nous faire le coup des chevaliers qui font ni-ni ? nous demander un jardinet, peut-être… »
L’une des seules raisons qui va, sans doute, me pousser à déglutir et continuer de lécher pour mettre ce vote macron dans une urne, c’est que je ne peux décemment pas laisser aux enfoirés de nazillons la prétention de penser que ce pays est le leur, que leur idéologie a vaincu et qu’ils peuvent se pavaner sans crainte dans nos rues. Je ne veux pas que bougnoules, pédés, chintoques et gonzesses ne souffrent plus qu’ils ne souffrent déjà. Je ne veux pas que la ratonnade devienne sport national.
J’engage tous ceux qui ne se sont pas décidé à procéder à un examen de conscience et faire le choix qu’ils ne regretteront pas, quel que soit le résultat final. J’engage aussi ceux qui voudraient mordicus ne voter ni pour l’un ni pour l’autre à quand même voter blanc, parce que cela m’apparaît toujours comme une réelle expression du désaccord, mais c’est une autre histoire.1
Et pour finir, je vois deux rendez-vous important. Tout d’abord les législatives qui, faut-il le rappeler, sont quand même celles qui déterminent dans quel camp est choisi le premier ministre, et donc qui dirige en faits le pays. Le second, ou plutôt « les », ce sont les manifs qui ne manqueront pas d’avoir lieu, avec en tête celle du 1er mai2. Car c’est dans la rue, quel(le) que soit l’empaffé(e) au pouvoir, qu’on leur rappellera ce que nous voulons.
Et sur ce, je vous rassure,
À la revoyure.
L’ichor
- Pour mes vues sur le droits de vote, en rapport avec les dernières élections régionales, et sommes-toutes pas mal d’actualité, confère l’inénarrable autant qu’hautement désopilante chronique #24 : Mais pourquoi donc voté-je ?
- Manif à laquelle j’espère que vous êtes allé si vous lisez ces lignes après coup.