Le Krump rencontre Maalem, la Danse Contemporaine fusionne avec l’Expression Urbaine

Temps de lecture: 8 min

Le Krump est né à Los Angeles au début des années 90, le terme Krump signifiant Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise kingdom = royaume ; radically = radicalement ; uplifted = levé, élevé, soulevé ; mighty = puissant ; praise = éloge.

Si on veut le traduire en français cela donnerait : "éloge puissant d'un royaume radicalement levé / soulevé"... C'est justement à l'occasion de l'« Éloge du Puissant Royaume », la dernière création d'Heddy Maalem que nous avons rencontré Nach et Kellias qui, grâce à ce spectacle, représentent leur art sur scène pour la première fois. Habituellement le Krump se pratique dans la rue, sur des places publiques ou encore sur des toits de grandes surfaces. Dans cet univers où les danseurs s'affrontent dans des battles ; vous gagnez vos « grades » comme dans certains arts martiaux et vos affinités et liens avec d'autres danseurs y apparaissent : chez les mecs cela donne des appellations comme : Mini, Kid, Prince, Boy, Junior, Lil, Big, et chez les filles : Princess, Gurl, Lady, Queen… Il y a aussi d'autre type de « grades » comme Sista ou Twin, qui veut dire que la personne est comme une sœur, un jumeau, une hiérarchie très subtile !

Ce sujet est notre premier report d'événement, suivi d'une interview des deux danseurs avec qui nous avons pu échanger le lendemain de la représentation. En effet, suite à un atelier Krump où nous avons appris les bases de cette danse, nous avons eu la chance de papoter une paire d'heures avec eux, en espérant que tout cela vous donne envie d'en savoir plus sur ce mouvement qui mérite sa reconnaissance au même titre que toutes les autres danses académiques !


 

« Éloge du Puissant Royaume », Compagnie Heddy MAALEM

 

Report :

 

Une scène vide, sans pendrillon, sans rideau, tous les artifices retirés. Les rares lumières sont sobres, blanches, crues : l'espace est brut. Brut comme l'art corporel que nous avons vu ce 22 mai dans la salle de l'Estive à Foix.

Dernière création du chorégraphe Heddy Maalem, « Éloge du Puissant Royaume » met en scène 5 danseurs de KRUMP. Une mise en scène qui respire, puisque tout est improvisation, mais comment cadrer une danse si viscérale, où chaque mouvement semble arraché du cœur et des tripes.

Les pieds frappent parfois la scène comme ceux d'un lutteur, décollant des nuages de poussières de la scène de l'Estive, au premier rang nous percevons chaque respiration, chaque goutte de sueur qui ruissèle, chaque expression. Et c'est là une des choses remarquable au delà de la danse en elle même, ces faciès crispés, ces mimiques, ces visages où des émotions diamétralement opposées se succèdent, sans qu'à aucun moment l'on ait l'impression d'assister à une comédie, à un jeu d'acteurs.

Car ces 5 danseurs nous donnent ce qu'ils ont au fond d'eux, criant parfois, l'une d'elle s'arrachant presque des larmes tant sa transe fut intense. Hormis quelques passages aux rythmiques hip-hop et au son massif, en parfait accord avec la puissance du krump, le fond musical sort les danseurs de leur contexte habituel, allant même, parfois, jusqu'au silence. Et c'est d'ailleurs un peu ce que nous confie l'un deux, Kellias, en sortie de scène ; que le chorégraphe et ancien boxeur Heddy Maalem a su faire transparaitre dans leur krump des émotions qu'il ne transpire pas habituellement, une douceur réservée à un cercle intime. En effet, à plusieurs reprises, à la brutalité saccadée succède une fluidité des plus tendres, presque des caresses. L’« Éloge du Puissant Royaume » est une belle fusion entre deux univers, celui de la danse contemporaine et d'une danse née dans les quartiers défavorisés de L.A,  il y a une vingtaine d'années. Heddy dit qu'il a rencontré ces danseurs sans doute car « il les avait toujours cherchés » ; une chose est sure chez Unfamous, on est bien content qu'ils se soient finalement trouvés !

 

 Photos par Sonia Jade


 

 Interview  :

 

— Votre définition du Krump ?

Nach : Quand on me demande ce qu'est le Krump je réponds que pour moi c'est le Gospel de la danse. Une façon bien singulière et poussée d'exprimer nos états d'âmes, le chagrin, le bonheur, la reconnaissance, la nostalgie, la souffrance...
Le Krump est pour moi une façon de me discipliner, de faire évoluer ma personne, et de repousser mes limites toujours plus loin.

Concernant la hiérarchie existant dans le Krump et qui régie les "Fam(ily)" de Krump, pour moi, il s'agit d'une manière de reproduire le schéma de la famille, d'instaurer le respect, de pouvoir se référer à une personne plus expérimentée que nous, lui demander des conseils, apprendre d'elle, tout comme nous pouvons aider une personne plus "jeune" que nous, c'est de l'entre-aide plus qu'autre chose, cela permet d'instaurer un certain "ordre", un équilibre... Tout comme un maître d'art martial possède des élèves de différents niveaux, ou comme le fonctionnement d'une confrérie.

 

— Comment avez-vous découvert le Krump ?

Kellias : Par le film « Rize », puis ensuite avec le reste des vidéos montrant ce qui se passe dans la rue.

Nach : Première fois avec le clip "Galvanize" des Chemical Brothers, ce fut un claque face à la gestuelle et à la puissance, puis ensuite comme beaucoup, par le film « Rize » que j'ai adoré. Après quelques années, c'est une rencontre qui a achevé de me conquérir, avec des krumpers lyonnais qui officiaient devant l'opéra.

 

— Quelle différence majeure y avez-vous trouvé par rapport aux autres danses liées à la culture hip-hop ?

N : l'accessibilité, le fait de ne pas être juger, ainsi que ce rapport à la danse expression, le fait de faire face a ses propres sentiments, ce coté exutoire qu'on ne trouve pas forcément ailleurs.

K : Les autres danses hip-hop m'ont apparus plus fermées, plus cadrées, dans le krump on peut tout rajouter, créer son propre personnage en ayant la possibilité de mélanger avec d'autres techniques.

 

— Que vous a apporté le travail avec Heddy Maalem ?

N : Une liberté d'expression encore plus large dans le travail du corps, du ressenti du mouvement, la gestion de l'espace sur scène, une sensibilité accrue, il nous a appris à sentir l'air, une autre conscience du corps. En tant que femme il m'a permis de libérer de la douceur, des choses qu'on ne montre pas en battle. Cela nous a permis d'apprendre à devenir des interprètes face à un public n'ayant rien à voir avec celui du Krump.
En nous apportant sa confiance, il a boosté la notre, nous a fait réaliser notre potentiel, notamment au point de vue d' l'improvisation. On a réalisé grâce à lui tout ce que nous pouvions faire, et il nous a aussi donné l'envie de le montrer.

K : il m'a permis de m'ouvrir, il a touché plus loin, me permettant d'approfondir mon personnage, de ne pas montrer juste le coté « monstre ». Ainsi dans une battle qui suivait une de nos dates j'ai utilisé des sentiments moins sombres.

« Éloge du Puissant Royaume », Compagnie Heddy MAALEM
Photo par Sonia Jade

 

 

— Hier à Foix, la salle était comble, êtes-vous habitués à danser devant autant de personnes, qui ne sont pas forcément initiées à l'univers du Krump ?

N : Non, il a par exemple fallu faire sans la hype, ce cri qui nous motive lorsqu'on est dans le cercle, il a fallu se battre pour garder la même hargne qu'en battle, se donner encore plus que dans la rue pour bien faire voir aux spectateurs assis ce qu'est réellement le Krump.

K : Il y a des choses qu'on ne peut pas faire dans la rue que l'on peut faire sur scène, montrer une facette plus sensible sans prendre le risque de se faire charrier :)

 

— Votre vision de la culture en France ?

K : J'me suis rendu compte qu'on est super bien en France, on râle beaucoup sans se rendre compte que l'on a beaucoup plus qu'ailleurs. Il y a des pays touristiques qui sont beau à visiter mais si tu envisages d'y vivre, va falloir revoir tes ambitions niveau culture....

N : Après avoir vu l'Australie, l'Allemagne, le Canada, j'pense que la France a du travail niveau ouverture d'esprit, sur le regard qu'elle a sur sa jeunesse et leurs arts alternatifs. Ceci dit j'ai bien conscience qu'on est pas les plus mal lotis, j'ai aussi eu l'occasion grâce à différents jobs de voir le coté business de la culture, sa mercantilisation et sa dépolitisation.

 

— Votre prochaine date ?

K : Le 3 septembre en Allemagne, à Hanovre.

 

Si vous étiez une chanson, un livre, un film ?

K :
Livre : « L'alchimiste » de Coelho.
Chanson : « J'ai mal au cœur », un de mes sons.
Film : « Intouchables », justement car il m'a touché.

N :
Livre : Tony Morrison, « Le chant de salomon ».
Chanson : Doudou N'Diayrose, « Khine sine », un morceau où d'ailleurs j'aimerais krumpé.
Film : « La Haine » de Kassovitz.

 

« Éloge du Puissant Royaume », Compagnie Heddy MAALEM
Photo par Sonia Jade

 


En bonus, quelques images de l'« International Illest Battle » qui s'est déroulé à Paris le mois dernier :


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