Nel Art : Reflexions Sculpturale

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Jeu de lumière - Nel Art

Jeu de lumière - Nel Art

 

— Comment décrirais-tu ton art :

Je pense pouvoir dire de mon art qu'il est « belge ». Je m'explique :
Durant mon enfance, j'ai souvent été confrontée, avec beaucoup d’interrogations, à cet esprit purement belge et très surréaliste qu'il m'était donné de voir à travers des émissions telles que « Strip-Tease » qui a maintenant son pendant français, ainsi que Brel ou encore Arno. Bien entendu, il y a eu d'autres références mais si je choisis de parler de celles-là, c'est parce que je pense que tout le monde comprendra de quoi il retourne si je dis que ça m'a très tôt confronté à ce que j'appelle volontiers le « lamentable ». Quand Brel nous chante « Ces gens-là » ou qu'Arno nous parle de sa mère et de l'odeur au dessous de ses bras, il est aisé de comprendre qu'ils sont allés au bout des choses, que leur perception de l'humain ne s’arrête pas à ce qui est beau ou met en valeur ce dernier !
Venant d'une famille très « bourgeoise », ou se revendiquant comme telle, autant dire que ces confrontations me secouaient et me fascinaient, bien qu'il m'ait fallu du temps pour savoir apprécier cette belgitude qui n'a pas honte d'être ce qu'elle est ! Et je pense ici pouvoir faire un rapprochement avec mon travail, le fait de sculpter des organes est pour moi la manifestation de la simplicité, nous ne sommes que ça ! Ensuite, le fait de travailler l'opposition des signifiés et des signifiants et de donc tordre les expressions courantes, le langage commun, ou l'inconscient collectif, pour développer matériellement une œuvre qui n'est pas ce à quoi l'on pourrait s'attendre ; je prends pour illustrer mes propos l'exemple du « viol psychologique », à priori personne n'imagine un cerveau se faisant littéralement violer par un jet de spermatozoïdes tous prêts à s’entretuer pour entrer dedans. Si l'on s'accorde pour dire que le surréalisme créé la surprise et la juxtaposition inattendue d'idées ou de concepts je pense pouvoir dire que j'en suis. Mais une chose qui me tient particulièrement à cœur dans mon travail est d'offrir plusieurs niveaux de lecture, je suis aussi extrêmement intéressée par la psychanalyse et le travail de l'inconscient (le mien ou celui du spectateur). Freud est une manne intarissable d'information bien qu'il m'ait rarement été donné de « rencontrer » un homme aussi machiste et complexé. Bien entendu, en tant que femme il me serait impossible d'être en total accord avec ses propos. Même ses propos machistes et phallocrates m’inspirent. Nous dirons que c'est le « lamentable » de Freud, car vous l'aurez compris le lamentable est en fin de compte ce qui m'inspire chez tout être. Donc pour résumer, je pense que mon art est belge, surréaliste et psychanalytique.
Ceci dit, m’arrêter là serait réducteur, je dois aussi énormément à la France, qui me donna Rimbaud, Hubert-Félix Thiéfaine ou autres Bashung, sans parler de la magnifique mélancolie Baudelairienne. Rimbaud, c'est l’insolence, celle qui me permet de dire à 16 ans que je claque tout pour devenir artiste, n'ayant aucune formation artistique autant dire que ça a eu l'effet d'une bombe... Hubert-Félix Thiéfaine, c'est la réflexion, les mots qui m'apparaissent comme autant d'images surréalistes et provocantes. Bashung c'est la féminité par excellence, celle que beaucoup disent retrouver dans mon travail, elle est fine et raffinée tout en étant puissante et n'ayant pas peur des mots. Et Baudelaire c'est le spleen, celui qui m'accompagne et me donne cette fascination de tout ce qui n'est pas politiquement correct. En fin de compte ce qui fait de nous des humains et rien de plus.
De nouveau, il y a beaucoup d'autres références, mais ayant perdu mes parents relativement jeune ils ont terminé mon éducation. Si tant est qu'on considère qu'elle soit un jour terminée...
Nous voila donc avec les qualificatifs : belge, surréaliste, psychanalytique, insolant, provocant, féminin et mélancolique.

 

— Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Mon parcours est relativement simple dans la mesure ou je suis autodidacte. Mes parents me rêvaient médecin ou je ne sais quelle autre chose, m’obligeant à suivre un cursus latin, mathématique et scientifique. Autant dire que l'école m'ennuyait au plus haut point. De plus, je ne me retrouvais absolument pas dans cet univers d'adolescent, décérébré pour la plus part. Ma mère avait une tumeur au cerveau et faisait des crises d'épilepsie, je passais mon temps dans les hôpitaux. J'ai vite compris qu'une vie était trop courte pour en faire ce que les autres voulaient qu'on en fasse.
Un jour ma prof de français de l'époque à parlé du mythe de la caverne de Platon qui met en scène des hommes enchaînés et immobilisés au fond d'une caverne tournant le dos à l'entrée et ne voyant que les ombres de la réalité (en dehors de la dite caverne) projetées sur le fond de cette demeure souterraine. Si l'un d'entre eux se défait de ses chaines et sors, découvrant ainsi la réalité des choses, il est peu probable qu'il veuille retourner à sa condition antérieur mais s'il se faisait violence, les autres restés à l'intérieur, incapables d'imaginer ce qui lui est arrivé, le recevraient très mal et ne le croiraient pas. Je me souviens qu'après ça, il n'a fallu que deux semaines pour que je quitte l'école... Je savais que je serais artiste, pas que je le veuille, mais c'était une évidence...
En 2003 je perdais mon père d'une rupture d’anévrisme et ma mère en 2008 des suite de sa maladie, à ce moment j'ai rencontré un psy qui m'a aidé à affiner ma perception des choses. J'ai donc commencé à chercher. J'avais toujours dessiné et petit à petit j'ai commencé à créer des toiles, jamais lisse. Je commençais à travailler le relief, de fil en aiguille la sculpture s'est imposée pour ne plus me quitter.
J'ai commencé à exposer et vendre mon travail en 2010 à peu de choses près.

 

— Quels matériaux utilises-tu pour tes créations ?

Pour le moment je travail une pâte polymère, mais il m'arrive aussi d'intégrer à mes pièces des objets existants si le projet l'exige. Je pense pouvoir dire que c'est une des forces que j'ai pu retirer d'une éducation artistique autodidacte, je n'ai pas de règles...

_Point de rupture

Points de rupture - Nel Art

 

— Combien de temps en moyenne passes-tu sur une pièce ?

Tout dépend du moment à partir duquel on considère qu'une pièce est entamée !
S'il s'agit du moment où l'idée se construit, ça peut prendre des années, je viens de faire une pièce alors que je la traînais dans mes pensées depuis plus de deux ans. Par contre s'il ne s'agit que de la réalisation plastique en elle-même, il n'y a vraiment pas de règles, certaines vont très vite et sont très instinctives alors que d'autres vont me prendre des jours de travail.

 

— Tu as fait des études de sciences et de mathématiques, est-ce un background utile dans ton art ?

Je dois reconnaître qu'effectivement mes courtes études scientifiques et latines me servent, bien qu'il me soit devenu presque impossible de faire un simple calcul mental. La géométrie et le nombre d'or en particulier sont une vrai source d'inspiration, de plus je suis synesthète, c'est un phénomène neurologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés.
Dans mon cas il s'agit surtout d'associer des couleurs aux chiffres ou aux mots. Parfois je les associe aussi à des sensations comme du vent ou de la pluie, par exemple le mot octobre m'inspire immédiatement une fine pluie accompagnée de vent et la couleur bleu. Beaucoup de mathématiciens vivent se phénomène. Les proportions, la recherche de la perfection des formes et des tailles... Le latin quand à lui ouvre les portes d'une littérature, de concepts et d’idéologies très forts qui sont souvent source d'inspiration dans mon travail.

 

— Tes œuvres contiennent souvent des éléments organiques, peux-tu nous en dire plus la dessus ?

Comme je le disais plus haut le travail des organes que l'on trouve souvent dans mes pièces se rapproche certainement des vanités hollandaises.
Le courant baroque ou la composition allégorique de la nature morte était modifiée pour suggérer une existence terrestre vaine, une vie humaine précaire et de peu d'importance : nous ne sommes que ça ! De plus le travail des organes tels que le cœur, le cerveau, la verge ou autres, qui sont porteurs d'une symbolique puissante et d'un réveil de l'inconscient collectif, me plaît infiniment. Personne n'est indifférent devant la vision d'une verge couverte de papillons ou d'un cœur béant d’où sortent des mécanismes. Le fait que ma mère ait eu une tumeur au cerveau n'est bien entendu pas innocent, j'ai vu circuler autour de moi depuis toujours des images de résonance magnétique, de scanners plus colorés les uns que les autres. Elle à subit plus de treize trépanations, ces mots m'étaient tout à fait familiers.
En outre je trouve ces organes plutôt esthétiques, cette chose si complexe qu'est le cerveau est incroyable de simplicité quand il s'agit de le sculpter, et ces cœurs humains sensés abriter l'amour et les bons sentiments... On parle si souvent de vérité, de franchise de beauté quand il s'agit de ce cœur alors qu'il y a une grande hypocrisie à le représenter de deux traits si simples. Travailler les organes tels qu'ils sont réellement tient aussi d'un désir de franchise et de réalité. Dans une société hypocrite il y a un plaisir cynique à présenter les choses telles qu'elles sont.

_Egg-strait de naissance

Egg-strait de naissance - Nel Art

 

— Tes projets et actualités ?

Je suis en contact avec quelques galeries, pour le moment mais rien n'est encore décidé. Quoi qu'il en soit mes expos sont systématiquement répertoriées sur mon site (lien en bas de page).
Une chose est sure, j'expose de plus en plus hors de Belgique (France, Luxembourg, Allemagne) et je compte bien survoler les mers avec mes pièces sous le bras. Comme était suggéré dans les évangiles, nul n'est prophète en son pays ... J'ai par contre quelques nouveaux projets, plus grands, la poudre de porcelaine par exemple. A suivre...

 

— Ta vision de la culture en Belgique ?

J'ai appris à aimer la Belgique en découvrant et en habitant à Liège plus précisément. Cette ville est d'une ouverture d’esprit incroyable, je m'y suis tout de suite sentie chez moi. Elle bouge sans cesse et les gens sont tous plus déjantés les uns que les autres. Personne ne te regarde de travers parce que tu affiches tes différences. De toute façon trois mètres plus loin il y en a un qui est dix fois plus arraché que toi. Cette ville est bourrée d'artistes et les liégeois ont le sens de la fête. Quand la Belgique a deux jours de fêtes pour X raisons, Liège fait la fête toute une semaine ! D'ailleurs elle porte aussi le nom de «Cité ardente», comment n'aurais-je pu tomber amoureuse... La Belgique c'est ça, une ouverture d'esprit que je n'ai encore trouvée nulle part ailleurs, des gens accueillants et chaleureux.
Un surréalisme de tous les instants et surtout beaucoup d’auto-dérision ! De plus notre art est de plus en plus reconnu hors-frontières et nous n'avons pas à nous plaindre de notre représentation artistique sur la scène internationale, que ce soit cinématographiquement avec Félix Van Groeningen qui nous livre « La Merditude des Choses » ainsi que « Alabama Monroe », notre Benoit Poelvoorde plus belge que belge, Bouli Lanners, ou encore Jaco Van Dormael. L'art plastique passé et présent. Nous avons bien entendu eu Magritte, Ensor, Rops et d'autres, mais la scène actuelle compte aussi parmi ses contemporains Jan Fabre.
Sans parler de la BD, de l'architecture ou de la musique... Malheureusement parler de culture en Belgique est un débat sans fin car il y a plusieurs fortes identités culturelles dans ce si petit pays.
Notre socle culturel commun est mis à mal par nos problèmes de communication entre Flamands et Wallons, ainsi beaucoup de revues culturelles sont soit flamandes, soit francophones.

 

— Si tu étais un livre, un film et une chanson ?

Si j'étais un livre... Je serais sûrement une grosse brique, un truc qu'il faut vraiment avoir envie de lire sans quoi tu renonces tout de suite.

Si j'étais un film, là, sans la moindre hésitation je serais : « Sur la route de Madison » avec Clint Eastwood et Meryl Streep. Je suis dingue de ce film et pas parce que c'est un film d'amour mais parce que je le trouve d'une vérité incroyable. De plus, un doux parfum de féminisme l'entoure ce qui n'est pas fait pour me déplaire. On y montre une vrai femme, de celles qui se salissent les mains, qui boivent de la bière, qui ne crient pas à la vue d'une souris et qui pourtant est d'une féminité sans bornes. Je pourrais en parler des heures mais j'ai du me résoudre, personne dans mon entourage n'aime ce film, comme si nous n'avions pas vu le même. Donc si j'étais un film je serais féministe, buvant de la bière et incomprise ? Ça me va...

Si j'étais une chanson, je serais soit : « Cabaret Sainte Lilith » de Hubert-Félix Thiéfaine... ou « Je t'ai manqué » de Bashung.

 

— Le mot de la fin ?

Faim.


 


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