Resistenza Moves : « L’idée d’un retour ne nous effleure pas »

Temps de lecture: 25 min

Lorsque j’ai proposé de faire une série d’article sur le voyage au long cours à l’équipe d’Unfamous Resistenza, c’était clair dans ma tête, il y aurait un article « généraliste » qui présenterai ce type de voyage, puis le suivant serait l’interview de Morgane et David à propos de leur itinérance : « de la France à l’Asie ». Il me semblait tellement évident que cette épopée représentait à elle seule tout l’esprit de cette rubrique et finalement celui d’Unfamous : engagement, liberté, singularité, voyage, et surtout : ALTERNATIVES.

Ce fût l’occasion pour moi, de longues correspondances avec Morgane d’abord puis David ensuite. Quel bonheur cette préparation d’article, moi qui, suite à notre retour, avais du mal à faire le deuil de mon propre voyage, c’était l’occasion de partager un peu du leur dont j’avais déjà le plus grand respect et une très grande admiration. Ici l’expression CHOIX DE VIE prend toute son ampleur. Leur projet me parait salutaire, en ce sens que, oui dans cette société aseptisée on peut encore vivre des alternatives de vies, être maître de son destin et vivre une expérience unique de liberté !
Chapeau bas les voyageurs !
Puissiez-vous générer des vocations…

Marche au petit matin (Serbie, juin 2011)

Marche au petit matin (Serbie, juin 2011)

 

Interview :

 

— Bonjour, on va commencer par les habituelles présentations, qui êtes vous? Ou plutôt qu'est-ce que vous souhaitez dire de vous ?

Je m’appelle David, un humain au milieu d’autres humains.

Morgane, enchantée !

Histoire de mettre les lecteurs dans l'ambiance, pourriez-vous nous faire un descriptif succinct  de votre voyage ?

Nous sommes un couple partis à pied de France (du Briançonnais exactement) le 1er Septembre 2010, accompagnés par quelques acolytes : un beau mulet nommé Cortex (au caractère bien trempé !), un tendre petit ânon d’un an nommé Rassoudok, ainsi que deux chiens Pity et Zoukia. Un troisième appelé Nada ne partit pas avec nous mais nous rejoignit diverses fois durant le voyage.

Notre direction est l’Inde. Toutefois, il n’y a aucune certitude réelle quant à la destination finale, si destination finale il y a, étant donné que nous ne sommes pas partis dans une optique de voyage avec une fin déterminée, mais plutôt dans l’optique de vivre un mode de vie particulier tout en nous déplaçant.

Campagne de Didi Dighomi, proche de Tbilissi (Géorgie, Mars 2013). Lieu où nous avons passé l'hiver et où, chaque jour, de nombreux bergers passaient avec leurs troupeaux auxquels Rassoudok aimait bien se mêler, partant parfois deux ou trois jours pour dormir dans les bergeries voisines avec de jolies ânesses.

Campagne de Didi Dighomi, proche de Tbilissi (Géorgie, Mars 2013). Lieu où nous avons passé l'hiver et où, chaque jour, de nombreux bergers passaient avec leurs troupeaux auxquels Rassoudok aimait bien se mêler, partant parfois deux ou trois jours pour dormir dans les bergeries voisines avec de jolies ânesses.

 

— Comment vous est venue l'idée de ce voyage ? Qu'est-ce qui vous a décidé à partir ?

David : Pour moi, l’idée est apparue au fil des voyages précédant celui-là, voyages toujours entrepris avec comme base un trajet d’avion, trajet extrêmement polluant et couteux où l’on traverse la planète en quelques heures, en survolant le monde que l’on souhaite finalement découvrir. C’était une manière de voyager en accord avec notre mode de vie européen, genre fastfood, tu payes, tu manges et tu rentres chez toi pour bosser… Le dégout de cette façon de vivre m’a finalement poussé à partir.

Morgane : Pourquoi ce voyage ? Tout le monde nous pose cette question constamment. Et ce qui est intéressant c’est que, peu importe dans quelle langue je dois exprimer la réponse, je ne donne pratiquement jamais la même et ne suis jamais satisfaite de mes propos. La raison est simple, mon insatisfaction provient de mon incapacité à être exacte dans la réponse.
Pourquoi ? Parce que.
Bien sûr, c’est une réponse qui ne convient pas. J’essaye habituellement d’expliquer mon souhait de vivre simplement, au milieu des richesses offertes par la nature, tout en respectant ce qui m’entoure, et donc en polluant le moins possible. J’explique aussi ma curiosité face aux différentes cultures, aux différents modes de vie, modes de pensée, une curiosité face aux êtres humains et leur comportement en général. J’ajoute qu’à pied les rencontres sont autres, ce n’est que rarement nous qui choisissons quand nous arrêter, le petit papy sur le bord de la route, lui, par contre… Je termine souvent en parlant de mon amour pour les animaux et de cette envie inexplicable d’aller en Inde depuis que j’ai environ 10 ans.

Tout ceci est vrai. Mais tout cela n’explique pas vraiment pourquoi. C’est un ensemble de faits, de rencontres, de pensées, qui m’ont, petit à petit, amenée un jour à décider de partir. L’envie s’est faite comme un besoin vital qu’il a fallu assouvir. Les sensations éprouvées qui m’ont menée à réaliser cette envie n’ont jamais trouvé à s’intellectualiser. Je m’excuserais donc, mais ne peut répondre précisément à cette question. Et si la réponse vous semble trop vague, questionnez donc l’Univers ! Lui seul sait où il nous mène et pourquoi.

Iran, campagne proche de Varzagan. Préparation au départ avec le levé du jour.

Iran, campagne proche de Varzagan. Préparation au départ avec le levé du jour.

 

— Comment se prépare un projet pareil ? Combien de temps de préparation ? Choix du matériel, de l'itinéraire, des animaux ? Réunir le budget ?

David : Personnellement il m’a fallu quelques années de préparations psychologiques et de voyages pour quitter définitivement mon pays natal, et après ça, il nous a fallu environ deux mois pour vendre nos deux maisons roulantes qui ont créé un budget pour les premiers temps, acheter un mulet déjà dressé et un ânon, un bât, fabriquer des sacoches, faire une ou deux randos histoire de se mettre dans le bain (c’était ma première expérience avec des équidés), puis nous sommes partis avec pour seul itinéraire l’Asie, se disant que l’on trouverait bien des cartes au fur et à mesure sur la route et ainsi choisirions par où nous souhaiterions passer.

Morgane : La plupart des gens préparent. Pour être sûr. Pour ne pas prendre trop de risques. Mais ce qui est chouette dans la vie c’est d’être surpris. Même quand la surprise est mauvaise. Je reprendrais les mots d’Helen Keller pour m’appuyer : « Éviter le danger n’est pas plus sûr à long terme que de s’y exposer totalement. La vie est une aventure à tenter sinon elle n’est rien. »
À partir du moment où notre décision de partir a été prise nous avons mis nos véhicules en vente, comme le précise David, nous avons donné la presque totalité de nos affaires et avons surtout passé du temps à nous couper administrativement du système (fermeture de comptes, arrêt de forfaits téléphoniques, arrêts d’assurances..) ce qui nous donna le temps de faire une ou deux petites randonnées avec nos jolis équidés afin de mieux les connaître avant le départ.
Pour ce qui est du matériel nous sommes partis avec une tente qu’il fallut changer au bout d’un mois parce qu’elle prenait l’eau, et n’avons pas de duvets ou vêtements techniques. Les seuls objets de qualité sont deux lampes frontales et un réchaud fonctionnant à l’essence (qui, depuis, a rendu l’âme et dont on se passe très bien).

Bulgarie, montagnes des Balkans, proche du mont Murgash, Septembre 2011 -  Campement réalisé, épuisés, après avoir marché toute la journée le long d'une montagne. Le chemin suivit depuis des heures s'arrêta brusquement alors que nous pouvions apercevoir, au dessus de la forêt, de hautes herbes. Il fallut grimper une pente dangereusement raide pour les animaux, entre les arbres, avant de rejoindre ce lieux où ils pourraient enfin se rassasier. Ce qu'alors nous ne savions pas, pensant être perdus, c'est que 400 mètres plus haut se trouvait le fameux sentier "Kom-Emine" traversant toute la Bulgarie d'Ouest en Est par les sommets des Balkans.

Italie.Septembre 2010. Alpes. Les premiers jours du départ, non loin des hauteurs de Montgenèvre.

 

— Comment votre famille et vos proches ont-ils vécu l'annonce de ce projet, qui a dû paraître au mieux très engagé voire un peu fou et au pire super dangereux, façon : « halala, ces jeunes ils sont inconscients, ils sont complément cinglés ! » ?

David : Mes parents ont craint à juste titre de ne plus me voir très souvent… peur non. Le monde en réalité n’est pas comme dans une série policière et ils le savaient. Les amis comme mes parents étaient simplement heureux pour moi, car j’avais en tête depuis un moment de quitter la France et ils le comprenaient très bien. Je pense qu’ils aimeraient tous faire un peu la même chose, il n’y a rien de fou à vouloir prendre des vacances !

Morgane : Je me rappelle d’un paquet de gens qui ont ri ! Tout en me disant que c’était impossible et que je ne le ferai jamais… Maintenant c’est moi que ça fait rire ! Mais nos familles et les gens vraiment proches de nous étaient ravis. La plupart du temps le bonheur des gens que vous aimez fait le vôtre. Il n’y a que la peur maternelle qui se réveille parfois lorsque nous devons traverser des lieux « dit dangereux ». ;-)

Exercice de respiration sur les collines qui observent la capitale géorgienne. Tbilissi (04/2013)

Exercice de respiration sur les collines qui observent la capitale géorgienne. Tbilissi (04/2013)

 

— Comment leur regard sur votre projet a-t-il évolué au fur et à mesure du temps?

David : Il faudrait leur demander directement !

— Aviez-vous des objectifs de départ ? Ont-ils été atteints ou ont-ils changé, évolué, disparu, fait la place à de nouveaux ?

David : Mon objectif de départ n’était pas vraiment exotique, l’idée était de fuir le système impérialiste mondial de consommation… Objectif quelque peu compliqué, car ce système touche directement ou indirectement quasiment toute la planète. Face à l’ampleur du problème, l’objectif a évolué, pour finalement changer.
Etant donné qu’il m’est impossible de fuir ce système qui m’est néfaste, mon nouvel objectif aujourd’hui est de minimiser ma contribution à celui-ci et donc, diminuer les bases sur lesquelles il repose. Je crois que sans les valeurs basées sur la consommation, notre système tel qu’on le connait ne peut subsister, nous ne sommes que des gouttes dans l’océan, mais sans goutte, il n’y a pas d’océan…

Turquie. Mer Noire. Non loin de Cide. Juillet 2012. Une brume s'est installé en très peu de temps, apportant avec elle une vague de froid (venant probablement de Russie) rendant les eaux gelées.

Turquie. Mer Noire. Non loin de Cide. Juillet 2012. Une brume s'est installé en très peu de temps, apportant avec elle une vague de froid (venant probablement de Russie) rendant les eaux gelées.

 

Morgane : Si on peut appeler cela un « objectif », j’avais dans l’idée de vivre plus à l’écoute et en harmonie avec la nature, et effectivement, ce mode de vie amène à nous modeler, nous et nos actions, selon les cycles de la journée, des saisons, selon le climat, selon les différences de terrains… Sans compter le fait que de vivre avec des animaux oblige (merci à eux !) à rester constamment en milieu naturel. Cette recherche n’a pas changé, elle ne fait qu’évoluer, et plus nous sommes à l’écoute de la nature, plus la nature semble à notre écoute et répond à nos besoins.
Il existe également dans mon cœur une recherche permanente de compréhension de l’être humain et de son comportement, cela par-delà les frontières et les nationalités. Sur la route est également venue naturellement la tentative d’ouvrir les yeux aux gens sur la possibilité d’autres choix que les seuls proposés par la société, l’envie de partager nos expériences sur la triste réalité du système capitaliste et son apogée que nombreux nous jalousent, tentant désespérément de prendre la même direction que nos « modèles » de l’Ouest.
Finalement, pour faire court, nous essayons de parler du respect de ce qui nous entoure, de l’acceptation des différences d’autrui, de nombreux sujets qui nous touchent et que nous souhaitons partager, espérant être entendu par quelques-uns. Évidemment ça demande d’apprendre à parler quelques langues ! :-)

— Les traditionnelles : meilleurs ou pires moments, les moments de doutes, de certitudes ou de convictions profondes, de peur ou de magie à l'état pur ? Le blues des 6 mois/un an de route existe-t-il ?

David : Les premiers jours de notre départ ont été un moment très fort pour moi, il n’y avait aucun rapport avec les autres voyages que j’avais fait. Là, c’était pour de vrai ! Un vrai départ, le commencement d’un mode de vie que j’avais toujours rêvé mais jamais osé (en parti à cause de l’éducation qu’on vous force à avaler à l’école, « sois un bon travailleur, dépendant de la machine »… ça nous impose de force une vision du monde, et une fois que l’on a une vision du monde, il est difficile d’en changer). Donc, une nouvelle vie débutait, avec tous les changements qui vont avec. J’ai été, ces premiers jours, la plus heureuse des gouttes !
Ensuite, le fait de vivre au rythme des vents n’amène pas vraiment aux doutes, je me sens privilégié, rien n’est difficile en profondeur, tout devient épreuve que l’on surmonte ou regarde passer. Pas de blues, non, je me sens à ma place depuis le départ donc rien ne me manque, sous-entendu : si tu fais ce que tu as à faire et vas là où tu dois aller, le doute n’existe pas. Et ma maman viens me voir de temps en temps, la vie est belle !
En ce qui concerne la peur, une fois je me rappelle traverser une rivière juste 3 mètres au-dessus d’une cascade, dont le débit était puissant, l’eau m’arrivait aux cuisses, et notre mulet tractait une carriole. A cause de la charrette il y avait une grosse prise dans le courant, j’avais du mal à garder les pieds fixés. Morgane avait une entorse à une cheville et, par conséquent, ne pouvait pas faire grand-chose, nous avions donc deux choix : soit Morgane restait dans la carriole pour faire plus de poids et diminuer les risques d’emportement quitte à partir dans la cascade coincée dans la carriole, soit elle traversait dans mes bras mais la carriole en serait moins lourde et les risques de voir la charrette et le mulet partir augmentait fortement… Je m’inquiétais donc grandement pour Morgane et le mulet accroché au bout de la carriole ! Finalement, Morgane s’est assise dans la carriole avec Pity (un de nos chiens) et nous avons tous traversé sans être emportés par le courant.

Auto-stop à la sortie de la ville de Sarahs, au Turkmenistan ( 10/2013 )

Auto-stop à la sortie de la ville de Sarahs, au Turkmenistan ( 10/2013 )

 

Morgane : Comme pour David, les moments de doutes vis-à-vis de notre route et de la vie que nous menons, n’existent pas. Le blues des 6 mois ou un an non plus. Comment pourrais-je avoir le blues de vivre ? Et qui plus est de vivre une vie que j’ai choisie.
Les meilleurs moments sont nombreux ! Chaque fois que je suis assez consciente et assez présente pour m’émerveiller de tous les petits miracles qui nous entourent je vis un de ces « meilleurs moments », chaque fois que la Vie nous offre sur un plateau (et des fois ce n’est pas qu’une image !) exactement ce que nous avons besoin au moment où nous en avons besoin. Chaque fois que mon âne braie, que mon mulet crie, qu’un oiseau chante ou qu’un gamin vient nous dire bonjour et nous apporte un plat tout juste fait par sa maman. Les meilleurs moments sont partout, il faut juste s’en saisir.
Il y a aussi des moments plus difficiles, mais après-coup, c’est assez compliqué d’en parler comme de « mauvais » moments, car chaque fois la leçon apprise a été nécessaire par la suite, et chaque fois que la situation s‘améliore on en apprécie que plus les bons moments.
Si la colère a pu m’emporter nous avons toujours fini par rire des pires situations.
Mais je vais quand même raconter ici brièvement la fois où nous nous sommes retrouvés dans des inondations du coté de Samsun, en Turquie, le long de la mer Noire. Le plus difficile ne fut pas d’être réveillés parce que la tente se remplit d’eau, ni de devoir courir en haut d’une colline avec toutes nos affaires trempées pour éviter de se faire emporter, nous comme nos affaires, par le courant du fossé devenu un torrent grandissant à vue d’œil. Tout ça sur fond de bagnoles et d’arbres passant dans les rues du village où nous campions, lui-même devenu le nouveau lit de la rivière, et ceci sous les yeux de Rassoudok (notre âne) apeuré.
Le plus dur pour moi, parce que j’ai du mal à accepter la méchanceté et la stupidité des Hommes, fut de voir la population refuser de nous aider alors que nous n’avions nulle part où dormir et toutes nos affaires boueuses et trempées (et il pleuvait toujours). Pire fut (alors que depuis une semaine les locaux nous envoyaient la police chaque jour, nous prenant pour des terroristes Kurdes et que, hors-visas, nous avions été ordonnés de quitter le territoire sous 15 jours) en allant voir si nous pouvions aider quelques villageois, ceux-ci, même dans une telle situation, nous demandèrent de leur présenter nos passeports tout en nous posant des questions suspicieuses…
Les peurs… Il a dû y en avoir, mais pas assez particulières pour que je m’en rappelle.
Je finirai sur les moments de magie qui, comme je le dis plus haut, se produisent constamment. Mais il est vrai qu'à mes yeux la magie prend encore plus d’ampleur sous un ciel étoilé ou que, lorsqu’arrivés tout en haut d’une montagne après des heures ou jours de marche, se découvrent une vue et un silence dont il ne sert à rien de parler puisqu’on ne peut que le vivre.
Je vous parlerai quand même ici d’un moment particulier qui se produisit en Bulgarie. A ce moment je voyageais seule avec tous nos animaux.
Suite à quelques jours dans une ferme perdue en pleines montagnes Balkaniques il me fallait partir. Absolument. Le comportement des bergers se voulait limite envers ma personne féminine. Cependant l’épais brouillard ne permettait pas de voir à plus de 2 mètres… J’étais en pleine montagne et devait suivre un petit sentier. C’était risqué. Mais le risque Humain me semblait plus grand. J’ai donc pris la route. Finalement le risque s’effaça rapidement, car si le brouillard ne disparut pas, le soleil fit une percée juste ou je me trouvais et éclaira environ 10 mètres devant moi. Cette percée me suivit toute la journée et jamais je n’entrais de nouveau dans le brouillard qui nous encerclait. Dingue ! Et pourtant vrai. La même journée je découvris sur la route une forêt de framboisiers sauvages ! Ça c’était une journée magique !

Iran. région de Tabriz. Août 2013. La région n'est que déserts et rivières de sel. La couleur de la terre est changeante et surprenante, la configuration même des montagnes de terre se transforme de kilomètres en kilomètres offrant de nouvelles merveilles à chaque virage.

 

— 3 ans et demi de vie commune 24h/24... Vous devez vous connaître en profondeur... Avoir alterné moments durs et indicibles bonheurs. Ça se passe comment?

David : Paradoxalement c’est pour moi ce qu’il y a de plus difficile dans cette association, la quasi impossibilité d’être seul, 24H sur 24, cela demande à travailler sur soi et effectivement, on apprend à se connaitre en profondeur, aussi bien l’autre que soi. C’est la chose à laquelle les gens ne pensent jamais quand on nous questionne, alors qu’il y a là, à mon avis, l’un des principaux intérêts à ce voyage.

Morgane : C’est effectivement d’une grande difficulté que de vivre constamment avec l’autre. Être confronté non-stop à ses qualités mais aussi à ses défauts. Devoir se confronter à ses propres défauts  et y travailler. Ça se gère mais il y a souvent à un moment ou à un autre un temps de séparation nécessaire. Que ce soit quelques jours ou semaines, se retrouver seul de temps à autre a une importance capitale. Être toujours ensemble obstrue indubitablement, à un moment donné, un espace nécessaire à l’objectivité et au détachement.

— De même avec vos animaux l'attachement doit être grand...

David : Ce sont nos enfants, et l’on est toujours attaché à ses enfants.

Morgane : On les aime comme si on les avait faits ! Avec eux aussi nous sommes 24h/24. Ils ont également des qualités sur lesquelles nous pouvons compter, et des défauts avec lesquels nous nous arrangeons. ;-)
Souvent les gens insistent pour que nous vendions l’âne ou le mulet et cette question m’irrite. Elle ne devrait certes pas puisque nous-même les avons acheté. Cependant, maintenant qu’ils vivent avec nous j’ai du mal à comprendre que l’on puisse vendre ses animaux comme s’ils étaient de simples objets. Pour nous ils font partis de la famille et nous les aimons comme tel.

— Envisagez-vous un retour, un jour ? L'avez-vous prévu ? Comment le voyez vous ? Vous semble-t-il possible de revenir en France votre point de départ ? Pour y faire quoi ? À Briançon ?!

David : Je ne sais pas de quoi sera fait demain, mais la théorie n’incluait pas de retour ! Je n’ai pas l’impression d’être parti de quelque part d’ailleurs, je n’ai jamais été fixé, et Briançon était juste un point de passage sur ma route, sympathique point où nous nous sommes rencontrés avec Morgane.

Morgane : L’idée d’un « retour » ne m’effleure pas. Ce n’est pas dans mes projets. Cela dit on ne peut jamais être sûr de rien.

Ouzbékistan. Octobre 2013. campagne d'Angren.

Ouzbékistan. Octobre 2013. campagne d'Angren.

 

— Quelles sont les découvertes du monde et de ces habitants qui vous ont le plus marquées ? Qu'avez-vous découvert de vous mêmes (que vous voulez bien communiquer... :). Ou en vous mêmes ?

David : Vaste sujet, très vaste sujet… je dirais que ce sujet est au cœur de notre vie, et mériterait plus qu’une interview, il mériterait que les gens s’y intéresse de par eux-même…

Morgane : Je dirais que ma vision vis-à-vis des Hommes a bien évolué. Tout d’abord, le début du voyage a eu l’effet de me « redonner confiance » en la race humaine de par les innombrables gestes de gentillesse et d’altruisme dont ont fait preuve de nombreux locaux de tous pays. Puis, m’habituant à ces preuves de sympathie authentique (et tout en m’extasiant toujours autant devant elles), mon analyse des comportements humains poussa plus loin et découvrit de nouveau la part destructrice, égoïste et égocentrique des hommes. Cette part d’ombre est présente chez nous tout autant que la lumière. Il m’a fallu pas mal de temps pour l’accepter. A présent j’arrive à voir les Êtres dans leur globalité et à comprendre ce qui les mène à se conduire de manière stupide et méchante (que ce soit envers la nature, autrui ou les animaux). Que ce soit par l’ignorance, l’éducation, la religion, la culture, les mauvais comportements qui sont les nôtres ne méritent pas le dédain ou la colère mais de l’écoute, de la compréhension et de la compassion. On ne change rien en opposant la bêtise à la bêtise, la colère à la colère, la haine à la haine. Par contre en opposant l’amour à la colère et la haine… La patience à l’impatience…
Comme le précise David, le sujet est vaste. Il y a beaucoup de choses à dire. Sur le monde, sur les Humains, sur nous-mêmes… Il y aurait quelques pages à écrire...
Mais finalement ces trois sujets ne feraient qu’un, étant intimement liés. Ce que nous découvrons chez les autres, nous le découvrons également en nous-mêmes et vice-versa. Et comme nous faisons partie intégrante du monde et sommes régis par ses lois…

— Après tout ce temps sur la route, des choses de votre vie d'avant vous manquent-elles ? Lesquelles ?

David : Pendant le premier hiver passé sur la route, le snowboard m’a terriblement manqué, je pratiquai avec amour depuis une dizaine d’années ! Par la suite, quand le deuxième hiver est arrivé, je me suis rendu compte que le snowboard ne m’intéressait plus du tout, donnez-moi une planche, je ne sais pas si je m’en servirai.
Je pense que l’on peut se passer sans regrets de n’importe quoi, les regrets ne sont que des pensées, et les pensées se contrôlent.

Morgane : Il n’y a aucune « chose » qui me manque. J’ai seulement parfois des envies de fromage ! :-)
Par contre il est vrai que lorsque nous sommes en mouvement sur une longue durée, et donc ne faisons que des rencontres rapides, la présence de vrais amis me manque. Que ce soit des amis de France ( et Belgique ) ou rencontrés lors d’arrêt de quelques semaines ou mois sur la route.

 

— Est-ce qu'il y a des points de vue sur lesquels vous avez radicalement changés entre la préparation, le départ, puis 1, 2 ou 3 ans après ?

David : En ce qui concerne les pays que l’on traverse, mes points de vue se confirment plutôt je crois, j’ai toujours pensé que les médias nous vendaient la sauce de l’état et ce qui l’arrange, par exemple le rapport entre les versions des médias et la réalité des gens dans leur pays, il y a un fossé hallucinant, l’Iran et la Bosnie en sont des exemples inquiétants. Si vous discutiez avec les gens dans les campagnes de leur histoire passée et présente, il y a de quoi changer de point de vue de manière radicale quant à l’intégrité da la presse française…

Arménie. Juin 2013. région de Sévan. 2000 mètres. Sieste de Rassoudok.

Arménie. Juin 2013. région de Sévan. 2000 mètres. Sieste de Rassoudok.

Morgane : Ce n’est pas un changement radical puisqu’on s’y attendait, mais c’est devenu certain au fil du temps, comme le rapporte David. Les idées que l’on se fait sur un pays, qu’elles proviennent de nos connaissances personnelles ou qu’elles soient apportées par les pays frontaliers, sont souvent fausses. En partie, voire complètement. Maintenant, avant de franchir une frontière nous ne nous attendons plus à rien tant nous avons été surpris de nombreuses fois.
Je ne pense pas que nous ayons « radicalement » changé de point de vue sur quelque sujet que ce soit. Ah, si, peut-être pourrions-nous dire (et ça a un léger rapport avec le sujet abordé plus haut) que lorsque nous étions en France nous étions pleins de certitudes, ce qui est le cas de 80 % des Humains (voir sûrement plus). Sûrs de ce qu’ils pensent, sûrs de ce qu’ils pensent savoir, sûrs de ce qu’ils croient, sûrs de la véracité de chacun de leurs avis sur chaque chose… Mais la certitude est une blague. Qui peut être sûr ? Et de quoi ?

Nous confondons souvent « notre » vérité (provenant de nos connaissances, de nos lectures, de notre éducation, de l’idée que nous nous faisons du monde qui nous entoure) et « la » vérité. Difficilement palpable tant tout n’est que subjectivité. A présent, plutôt que d’être sûrs, disons que nous sommes en perpétuelle recherche, prêt à remettre en question chaque certitude.

 

— La suite pour vous ?

David : Actuellement au Khirghizstan, ce qui est prévu est d’aller en Chine, mais nous essayons de nous accorder avec les vents et les signes, et de ne rien rater. Donc si les signes nous envoient ailleurs, nous essaierons de les suivre. Les signes ne sont pas toujours évidents à traduire… Mais nous apprenons à les comprendre petit à petit.

Morgane photographiant le site troglodyte de la vallée de Varzia en Géorgie ( 09/2012 )

Morgane photographiant le site troglodyte de la vallée de Varzia en Géorgie ( 09/2012 )

 

— Que souhaitez-vous ajouter ?

Morgane : Je voudrais souligner que ce que nous faisons est à la portée de tout le monde. Il n’y a rien d’exceptionnel dans notre manière de vivre et dans les choix que nous faisons. Nous ne sommes pas plus courageux ou plus fous que n’importe qui.
Si vous avez des envies, que ce soit de voyager, de changer de vie, de faire n’importe quel choix qui vous permettrait d’être plus en accord avec votre vision du monde et de la vie que vous souhaitez vivre, allez-y ! Tentez ! Même si le choix paraît dangereux, voire impossible, si vous suivez la direction de votre cœur celui-ci vous emmènera inévitablement au bon endroit.
Quel est le risque ? Chuter ?
Rassurez-vous, le propre de l’Homme est de se relever.

 

— Le mot de la fin ?

David : Vivons ce jour comme si c’était le dernier.

Le sourire de Rassoudok venant de perdre sa virginité! :-)<br />(Géorgie, hiver 2012. Campagne de Didi Dighomi)

Le sourire de Rassoudok venant de perdre sa virginité! :-)
(Géorgie, hiver 2012. Campagne de Didi Dighomi)

 


 

Presque tous réunis sur la même photo, Serbie (06/2011)

Presque tous réunis sur la même photo, Serbie (06/2011)

 

Pour suivre leur voyage :

 

http://rassoutex.e-monsite.com/

 

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6 commentaires sur “Resistenza Moves : « L’idée d’un retour ne nous effleure pas »

  1. bonjour a vous bravos pour ses commentaires et ses partages
    oui le voyage a cheval c est une autre dimension de la vie plus vraie plus pure plus dur mais la liberté d aller au rythme des ses chevaux et de son mulet vaux se prix

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